Le sac du palais d'ete
maison à des Anglais de passage en attendant d’avoir de quoi se payer un billet de retour au pays de Galles où elle avait tous ses neveux et nièces.
En attendant cet événement, Mme Greenwich, qui n’avait pas eu d’enfant, s’était prise de passion pour le fils de Laura auquel elle faisait lire Dickens et qu’elle emmenait volontiers au jardin public dès que le temps s’y prêtait.
— Il se débrouille assez bien en tout, répondit sobrement Laura qui avait l’esprit ailleurs.
— Promettez-moi qu’une fois arrivée à Londres, vous le placerez dans un bon collège. Vous savez, le niveau du collège où on met son enfant, ça compte énormément. Même si ce petit est très doué, il ira d’autant plus loin que vous l’aurez inscrit dans un établissement de qualité, gloussa Janie avant de poser sa lèvre supérieure parcheminée comme un bec de tortue sur sa tasse à thé en porcelaine de Wedgwood et d’en aspirer quelques gouttes.
Puis, d’un geste emprunté qu’elle avait déjà dû répéter pas loin de deux bonnes dizaines de milliers de fois depuis sa naissance, elle appuya un mouchoir de dentelle sur sa bouche et proposa un autre scone à Laura, qui, d’un geste, le refusa. Comme dans toutes les bonnes maisons du pays de Galles, prendre le thé chez Janie Greenwich s’apparentait à un véritable cérémonial.
— Il faudrait déjà que nous puissions y partir… Vu l’état de Joe, je crains que la date prévue ne soit compromise… soupira la jeune femme.
Elle s’était fait une raison. Même si elle était consciente que le traumatisme serait immense pour Joe, qui supportait difficilement de changer de cadre, rester en Chine, où les cent cinquante liang d’argent risquaient de s’épuiser très vite, n’avait plus grand sens. Plus les jours passaient, et plus ses chances de retrouver son époux étaient minces. La mort dans l’âme, quelques jours après son arrivée à Shanghai, elle s’était rendue dans les bureaux de Jardine & Matheson acheter des billets pour l’Angleterre. Il ne restait plus qu’une cabine pour trois adultes, qu’elle avait cru bon de réserver dans son entier, estimant que la cohabitation avec Joe risquait de ne pas être supportable pour un intrus.
Compte tenu de l’état de santé de son frère, il y avait désormais de forts risques qu’il leur fût impossible de partir comme prévu le 22 mars.
Laura alla chercher une carafe d’eau bouillie et, suivie par la vieille dame qui trottinait derrière elle comme un chien de compagnie, se rendit dans la chambre de son frère, une petite pièce tendue de tissu à rayures vertes et où régnait une odeur de renfermé à la limite du supportable, Mrs Greenwich exigeant, pour préserver, comme elle disait, « la fraîcheur de la tenture », que son unique fenêtre fût maintenue fermée.
Cela faisait dix jours que Joe n’allait pas bien. Il avait beaucoup maigri et passait ses journées à somnoler, brûlant de fièvre. À la vue de la peau de son ventre, parsemée de vilaines taches bleues, Laura, qui craignait que son frère ne fût atteint de la peste, avait fait venir à son chevet un médecin chinois qui lui avait assuré qu’il ne s’agissait pas de cette maladie mais plutôt d’une carence du « souffle interne gauche et froid » pour lequel il avait prescrit un mélange de réalgar et d’orpiment. Deux jours plus tard, les taches bleues avaient laissé place à de vilaines rougeurs squameuses et la fièvre, loin de tomber, semblait au contraire être montée d’un cran.
À pas comptés, Laura s’approcha du lit où le jeune homme gisait, visage tourné contre le mur, le corps pelotonné comme un animal en hibernation. Elle passa une main timide sur le front brûlant de son frère qui, contrairement à son habitude lorsque sa sœur accomplissait ce geste, n’ouvrit même pas les yeux.
— Il est beaucôup plus fiévreux que ce matin… constata Laura avec accablement.
Mrs Greenwich, dont les lèvres encore plus amincies que d’habitude marmonnaient une prière, s’approcha du malade, versa un peu d’eau dans un verre et y trempa le pouce avant de dessiner avec celui-ci le signe de la croix sur le front de Joe qui ne broncha pas.
— J’ai demandé au révérend MacTaylor de passer voir votre frère, fit-elle avec une mine de conspirateur.
— Je ne pense pas que Joe ait besoin de voir un pasteur…
La vieille galloise, après avoir levé les yeux au
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