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Le sac du palais d'ete

Le sac du palais d'ete

Titel: Le sac du palais d'ete Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jose Frèches
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propos, La Pierre de Lune, faisant, pour une fois, fi de sa réserve et de sa politesse naturelles, lui avait rétorqué, lèvres serrées :
    —  Moi, je ne m’y ferai jamais…
    —  Vous êtes si nombreux qu’il me paraît illusoire d’imaginer que vous pourrez tous manger à votre faim…
    Une fois cet accablant constat effectué sur le ton anodin de l’énoncé d’une vérité d’évidence, le prêtre était allé lire son bréviaire dans sa chambre, la conscience tranquille et comme si de rien n’était.
    Ce n’était pas la compassion qui étouffait Monceau, lequel avait pourtant sans cesse à la bouche les mots de « prochain » et de « charité », songeait La Pierre de Lune lorsque, le long de la dernière boucle du chemin qui menait à Shantou, un océan grisâtre et mouvementé lui apparut soudain, effaçant l’image de ce jeune prêtre avec lequel il n’avait pas grand-chose de commun, si ce n’était d’appartenir au genre humain…
    Au large, sous des feux pâles et intermittents, la tempête faisait rage, si loin de la paix mystérieuse qui s’étend sur la mer lorsqu’elle est calme. Conjuguée aux souffles qui venaient de la mer, la brise de terre, très froide, coupante et qui lui balafrait le visage, l’obli- géant à boutonner jusqu’au col son lourd manteau de laine, faisait monter les vagues jusqu’à la hauteur d’un immeuble de trois étages avant qu’elles ne se brisent, dans de terribles jets d’écume, sur les rochers noirâtres.
    Après s’être laissé rouler quelques minutes par la vision et le bruit de ces lancinantes catastrophes à répétition, il dirigea ses pas vers le village de pêcheurs, le cœur rempli d’une étrange appréhension.
    Il lui sembla désert, lorsqu’il y pénétra, le crachin ayant brutalement laissé place à un ciel lavé par les vents maritimes qui en avaient chassé l’orage et parlaient un langage d’une beauté rude au-dessus de ses maisonnettes décrépies. Le long des ruelles vides, telles de pauvres petites orphelines abandonnées, les maigres masures des gens de mer lui paraissaient encore plus chétives que jadis, tandis qu’une drôle d’odeur aigrelette s’exhalait de leurs portes, toutes béantes, à la façon d’organes dont l’ouverture a permis au souffle vital Qi de s’échapper du corps.
    De plus en plus chiffonné, il s’avança vers l’unique trace de vie présente, un vieux couple assis sur le seuil de ce qui avait dû être l’échoppe d’un écrivain public, à en juger par l’enseigne qui pendait encore sur la façade. L’homme, dont le visage sculpté par de belles rides était marqué par un terrible abattement, tenait à la main tout ce qui lui restait : quelques pinceaux et une pierre à encre. La femme, le dos secoué par les pleurs, enfouissait son visage contre la poitrine de son mari.
    Plus il s’approchait du vieil homme, et plus celui-ci avait l’air terrorisé.
    —  Vous me semblez dans l’affliction… Que se passe-t-il ici   ? hasarda-t-il lorsqu’il fut à quelques pas de ces vieilles gens qui tremblaient de tous leurs membres.
    —  Excuse-moi, j’ai cru que tu avais les cheveux longs… marmonna l’époux.
    —  Vous m’avez pris pour un Taiping   ? fît La Pierre de Lune en passant sa main sur son crâne parfaitement lisse d’où n’émergeait aucune natte.
    —  De loin seulement… Mes yeux m’abandonnent… fit le vieux, accablé.
    N’y tenant plus, le jeune Chinois posa la question qui lui brûlait les lèvres :
    —  Où sont passés les gens du village   ?
    —  Connais-tu la phrase de Mencius : quand on est heureux , on l’ignore, comme le bateau sur l’eau ignore le courant   ? lui demanda le vieux lettré.
    —  Mon père me la fit calligraphier à maintes reprises…
    —  A présent que le malheur a frappé, je peux t’assurer qu’hier, nous étions heureux, quoique nous manquions de tout… soupira le vieil homme.
    —  Pourquoi dis-tu ça   ? s’écria, d’une voix angoissée, La Pierre de Lune qui se doutait qu’un terrible drame venait de frapper Shantou.
    —  Hier, à la nuit tombante, les hommes aux longs cheveux ont investi Shantou… souffla la vieille femme entre deux sanglots.
    —  Ils maniaient le glaive avec une dextérité qui trahissait une longue habitude d’exterminer… Avec des torches, ils mettaient le feu aux maisons après en avoir sorti les habitants, ajouta son époux.
    —  A présent, je comprends

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