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Le sac du palais d'ete

Le sac du palais d'ete

Titel: Le sac du palais d'ete Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jose Frèches
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à la fumerie du Paon Splendide ! lui avait murmuré un petit homme au visage hâve et basané, dont les traits creusés trahissaient l’abus de drogue.
    Le petit homme en question était tombé des nues lorsqu’elle lui avait expliqué qu’elle avait lu l’annonce et qu’elle venait lui proposer ses services.
    —  Je suis le patron de cet établissement… Tous mes employés sont payés deux liang par jour, nourris logés ! lui avait appris le petit opiomane avant de lui poser deux ou trois questions pour s’assurer qu’elle ne faisait pas une fugue.
    —  Je suis ici de mon plein gré ! avait-elle insisté.
    L’affaire avait été rapidement conclue. La présence d’une serveuse étrangère était un atout indéniable.
    —  Vous êtes embauchée !
    —  La seule condition que je mets est que vous acceptiez de nourrir mon frère. Nous dormirons dans le même lit !
    —  Dans ce cas, je ne te paie qu’un liang   ! avait illico répondu le petit homme dont l’âpreté au gain se lisait sur le visage.
    C’est ainsi que Laura était devenue une belle hôtesse aguicheuse dont l’objectif consistait à faire consommer le plus d’opium possible à des clients pour l’essentiel anglais et hollandais. En quelques jours à peine, à la grande satisfaction de son directeur, la réputation de la jeune femme avait franchi les murs de l’établissement où de plus en plus de clients étrangers se pressaient dans l’espoir d’être servis par la « jolie petite Anglaise », ainsi qu’on la surnommait dans les tripots de Canton. Ce qui pesait le plus, dans ce travail harassant et répétitif, à Laura Clearstone, colombe blanche au milieu d’une nuée de corbeaux, c’était de constater les méfaits de l’opium sur l’organisme humain. Même si La Pierre de Lune les lui avait décrits maintes fois, elle pouvait juger sur pièces de leur terrible réalité.
    L’extrait du pavot procurait à son consommateur un sentiment d’euphorie, d’exaltation et de bien-être qui disparaissait instantanément dès que ses effets cessaient, ce qui engendrait le désir immédiat d’y replonger. Au plaisir succédait le manque et le paradis se transformait en enfer. Alors, la peau devenait froide et bleuâtre et la température du corps affamé d’opium augmentait de plus de trois degrés ; la bouche de l’opiomane, reconnaissable aux énormes caries qui la ravageaient, se desséchait, prenait feu comme une éponge passée sur une flamme, devenait béante comme un cloaque, prête à ingurgiter la fumée mortelle. Stoïque, serrant les dents, Laura assistait ainsi à la mort lente de ses clients tout en surveillant du coin de l’œil son frère Joe qui parcourait les couloirs des fumoirs en riant. Elle ne supportait pas la vue de ces victimes non consentantes, piégées par l’accoutumance, constipées en permanence, contraintes à déployer mille efforts pour vider leurs intestins malgré une perte progressive de l’appétit qui les amenait peu à peu à l’état de cadavres ambulants. Un soir, elle avait assisté, horrifiée, à la mort d’un Chinois diaphane, auquel il était impossible de donner un âge quelconque, tellement il était usé jusqu’à la corde, sidéré par la première fumée avalée. Après un épisode de détresse respiratoire au cours duquel elle l’avait vu s’agiter, la bouche ouverte, comme un poisson échoué sur la rive du fleuve, l’homme était mort en poussant un râle en même temps que sa bouche lâchait un flot verdâtre.
    —  Dommage ! Cet homme était notre plus ancien client ! avait soupiré le directeur qui voyait s’envoler un flux d’argent plutôt conséquent.
    Puis, comme s’il s’agissait d’un vulgaire sac de riz, il avait fait transporter le cadavre de la victime sur le trottoir où son fils, client occasionnel de la fumerie, était venu le récupérer dans l’indifférence générale. Un client de perdu, dix de retrouvés ! Quelle que fût l’heure de la journée, le Paon Splendide refusait du monde.
    Malgré tout cela, Laura ne regrettait rien. Et, quant à l’avenir, il valait mieux ne pas le connaître ni essayer de le deviner… Sagement, la jeune femme se contentait de vivre au jour le jour.
    Soutenu par son factotum-interprète sur lequel il s’était affalé, le Hollandais venait de quitter péniblement son box, son ultime bouffée d’opium avalée, lorsque le directeur fluet demanda à la jeune femme de le suivre dans son

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