Le sac du palais d'ete
passa sur le visage du calligraphe de sang impérial qui frissonna avant de se mettre à trembler comme une feuille. Après ce qu’il venait d’apprendre, la vie sans Laura lui semblait encore plus insupportable qu’avant.
— Vous êtes sûr qu’elle n’est pas encore partie ? murmura-t-il d’une voix mourante.
— Puisque je vous dis que non ! lui lança, agacé, le journaliste.
— De quoi Joe Clearstone est-il mort ?
— Le pauvre garçon a été emporté au début du printemps par la fièvre tierce. Mais si ce n’est pas indiscret, pourquoi au juste, cherchez-vous à rencontrer Laura Clearstone ?
La Pierre de Lune, éludant la question, poursuivit :
— Quel âge a son enfant ?
— Il va sur ses huit ans. Sa mère en est très fière. Elle est en perpétuelle adoration devant son fils ! Elle m’a raconté comment le Tianwan en personne l’aida à mettre l’enfant au monde, grâce à une Bible.
Incapable de dire un mot, La Pierre de Lune se réfugia dans un long silence qu’il finit par briser en murmurant, bouleversé :
— Et si je vous disais que cet enfant est le mien, monsieur Bowles…
John se raidit. Jetant un coup d’œil inquiet à l’auteur de ces propos inouïs, il se demanda s’il n’avait pas à faire à un dangereux mythomane qui risquait fort d’avoir tout inventé, au sujet des propos des deux antiquaires terroristes… Il devait en avoir le cœur net car il y allait de sa crédibilité de journaliste. Fronçant les sourcils et plongeant des yeux méfiants dans ceux de l’inconnu, il lui demanda avec autorité, prêt à l’éconduire comme un malpropre :
— Je m’excuse, mais nous n’avons pas été présentés. Vous connaissez mon nom, mais je ne sais pas le vôtre. A qui ai-je l’honneur ? Quel est votre métier ?
— Mon nom est La Pierre de Lune. Je suis calligraphe. Laura Clearstone est la mère de notre enfant. Cela fera bientôt huit ans que le destin nous a séparés…
Bowles, qui venait de ressentir comme un énorme coup à l’estomac, se tassa sur sa chaise. Puis, considérant d’un air hébété ce visiteur tombé du ciel que lui envoyait ce si généreux dieu de la Chance à la gloire duquel il devrait désormais songer à ériger non pas une, mais bien deux statues, il s’écria, au comble de l’extase :
— Vous avez bien dit que vous vous appeliez La Pierre de Lune ?
— Tel est mon nom, monsieur Bowles !
Le journaliste émit un couinement de joie.
C’était à proprement parler miraculeux : le fils d’Irma Datchenko et de Daoguang était également celui dont Laura Clearstone avait obstinément refusé de lui révéler le nom lorsqu’il avait essayé de savoir qui était son époux… Et cet homme-là, dont il pouvait constater que le visage était typiquement eurasien, se trouvait à présent juste devant lui !
Aussitôt, la question qu’il avait sur les lèvres fusa d’un trait :
— Possédez-vous un étui à pinceau ?
— Oui ! Depuis que mon père me l’a donné, je l’ai toujours sur moi.
À ces mots, John, déjà gagné par l’euphorie, crut défaillir de joie. Le cœur battant à tout rompre, pointant ses mains tremblantes vers La Pierre de Lune, il lui demanda d’une voix que l’émotion avait réduite à un souffle :
— Auriez-vous l’obligeance de me le prêter, s’il vous plaît…
— Mon père me le remit le jour de sa mort et me fit jurer de ne jamais m’en séparer… fit le calligraphe, en lui tendant le tube de bambou qu’il venait de sortir de sa poche.
— Merci ! hurla Bowles qui s’en empara avec la voracité d’un chien affamé saisissant un bout de viande.
Bowles, d’un geste vif, en arracha la doublure.
— Que faites-vous là ? Il ne faut pas l’abîmer ! protesta, ébahi devant la grossièreté du procédé, l’époux de Laura Clearstone.
D’un air triomphant, Bowles sortit du bout des doigts le document qui était caché entre la doublure et le tuyau de bois, et montra à La Pierre de Lune la feuille sur laquelle l’empereur Daoguang avait apposé son gros cachet à l’encre rouge portant son nom de règne.
— Ceci est un certificat de paternité. Regardez et lisez-moi ça ! Le nom de votre père est écrit en toutes lettres sur ce document, de même que la phrase par laquelle il vous reconnaît comme son fils !
Le visage du jeune calligraphe se renfrogna.
— Ceci ne saurait en aucun cas être
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