Le sac du palais d'ete

Société des Adorateurs de Dieu devenu entre-temps le grand chef des Taiping. Rêvant de porter le plus loin possible, y compris par les armes, la parole de son grand frère, cette gymnaste hors pair, qui excellait à danser sur une corde tendue entre deux piquets, s’était également liée d’amitié avec Jasmin Ethéré. Il faut dire que les deux jeunes femmes partageaient la même passion pour les exercices destinés à forger le corps.
    D’un pas souple, malgré le bébé joufflu qu’elle portait sur son dos attaché par un châle, la belle contorsionniste courut à la fontaine.
    —  Voici du thé bien chaud ! dit-elle à Laura en revenant une théière fumante à la main.
    —  Tu es adorable, Jasmin Éthéré. Boire chaud va me faire du bien… souffla Laura, épuisée par des nausées incessantes.
    Non loin de là, sur un pré récemment fauché, Joe jouait à la balle avec une ribambelle d’enfants plus jeunes que lui. Depuis son arrivée à Jintiancun, le jeune trisomique était beaucoup plus calme. Il se plaisait visiblement dans ce village dont les habitants l’avaient adopté et le considéraient avec respect. Après tous ces épisodes mouvementés qui avaient mis ses nerfs à vif, ses journées se déroulaient selon un tempo invariable et qui lui convenait à merveille, à manger, jouer, dormir et rêvasser aux côtés de sa sœur. Depuis le début de leur séjour au mont des Cardons, le fils de Brandon et de Barbara Clearstone n’avait jamais exprimé oralement à celle-ci la moindre plainte ni la moindre satisfaction. A cet égard, le jeune garçon semblait avoir régressé. Cadenassé dans son état végétatif, il ne réagissait pas lorsque sa sœur essayait de lui expliquer qu’elle allait accoucher d’un enfant, se contentant de pousser un ou deux grognements quand elle plaçait sa main sur son ventre.
    Laura, pensive et résignée, elle qui avait longtemps espéré que son frère continuerait à communiquer avec elle, regardait la partie s’achever. Joe, tout à son affaire, hurlait de joie. Les enfants, qui lui avaient remis la balle, faisaient à présent la ronde autour de lui en chantant des cantiques tirés de la Bible. Chacun, à Jintiancun, traitait le jeune Joe Clearstone avec respect depuis que Hong, à l’issue de l’un de ses prêches enflammés, avait décrété que le garçon était un « prophète muet envoyé par le Christ pour réconcilier les Chinois et les Anglais », soit un être d’essence divine. Tout ce que disait leur chef étant pris par ses disciples comme parole d’Évangile, le jeune trisomique bénéficiait chez les Taiping d’un statut à part.
    Au départ, sa sœur, qui souhaitait par-dessus tout qu’on laissât son frère en paix, n’avait pas vu d’un très bon œil cette proclamation du chef des Taiping dont les effets risquaient de le perturber.
    —  Ton frère a le corps d’un nez long anglais et la face d’un Han ! Je le prends comme un signe du ciel. Joe a été choisi par le Christ pour être un médiateur. C’est un être pur et sans tache. Depuis que je l’observe, je n’ai décelé en lui que de la gentillesse, lui avait rétorqué Hong sur un ton péremptoire lorsqu’elle lui avait demandé, avec moult précautions, les raisons de son geste.
    Le hakka paraissait si sûr de lui qu’elle avait jugé inopportun de le contredire, voire de poursuivre la discussion. À Jintiancun, il n’était pas recommandé de contrarier Hong. Au fil des jours, elle avait constaté que cette élévation de Joe au rang de « prophète muet », loin de nuire à son frère, lui valait nombre d’avantages.
    Joe, quittant ses camarades, vint s’asseoir à ses pieds tandis qu’elle dégustait son bol de thé. Elle passa doucement sa main dans sa tignasse mouillée de sueur.
    —  Je vais amener ton frère à la rivière. Il a besoin d’être lavé… regarde un peu comme il transpire ! lui proposa alors Jasmin Éthéré.
    —  Dans ce cas, laisse-moi Fleur de Sel. Il serait temps que j’apprenne moi aussi à pouponner… répondit Laura à la contorsionniste qui, aussitôt, détacha le bébé de son dos avant de le lui déposer sur les genoux.
    Dressée sur ses petites jambes potelées, Fleur de Sel, qui était à l’âge où les enfants commencent à vouloir marcher, se mit à tripoter le nez de Laura en riant.
    —  Regarde-moi ce qu’elle est dégourdie ! dit Laura à Jasmin Éthéré qui fondait.
    La contorsionniste vouait à