Le sac du palais d'ete
avait-elle soufflé, tétanisée par la perspective de ce convoiement.
— Sans problème. Tu ne risques rien !
— Et si la police m’arrêtait ?
— C’est hautement improbable ! avait lâché d’un air détaché le petit directeur qui se fichait manifestement comme d’une guigne de ce qui pouvait arriver à Laura.
— Plusieurs fois, j’ai vu des rues barrées par des impériaux qui contrôlaient tous les passants, avait-elle murmuré, gémissante.
— Dans ce cas, tu ne dois pas dire un mot de chinois et ils finiront bien par te relâcher ! conclut, passablement agacé, cet homme fourbe et sans pitié, avant de repartir de son côté.
Elle avait mis deux bonnes heures pour rentrer à la fumerie, après le long détour qu’elle avait tenu à effectuer, anéantie par la peur, en tenant fermement par la main son frère qui, de fort mauvaise humeur et au bord de la crise, traînait la patte. A peine était-elle arrivée que le patron, tel un diable de sa boîte, avait surgi de derrière son comptoir sur lequel elle s’était empressée de poser sa précieuse cargaison. Le lendemain matin, comme prévu, le petit Chinois, trop heureux de pouvoir compter sur une jeune Occidentale aussi efficace, l’y avait envoyée seule et elle s’était à nouveau retrouvée dans la rue avec son frère, bien décidée à ne plus remettre les pieds au Paon Splendide.
Et c’est alors que le miracle s’était produit.
Ses pas l’avaient guidée aux abords de la Grande Porte du Jardin Céleste qu’elle avait reconnue sans peine aux deux dragons dont elle était flanquée et qui crachaient fièrement leurs flammes de pierre au nez des visiteurs. C’était là que Roberts et Bambridge venaient avec sa mère, lorsqu’elle était encore de ce monde, prêcher l’Évangile. Un petit attroupement s’y était formé devant un prédicateur vêtu à l’occidentale. Le souvenir du pasteur et de sa gouvernante, sur lesquels elle n’avait aucune envie de tomber, lui avait fait hâter le pas. Au plus vite, elle avait contourné les badauds qui écoutaient religieusement le prêche. La présence d’une fosse à ordures béante où furetaient des enfants squelettiques et couverts de gale l’ayant obligée à traverser la rue, elle s’était rapprochée de l’homme qui haranguait la foule en brandissant un livre. C’est alors qu’elle avait reconnu Hong Xiuquan, le hakka qui avait déboulé chez Roberts pour y faire un scandale. Gesticulant sur une petite estrade, il exhortait ses ouailles, dont la plupart pleuraient et se signaient, à se convertir au Christ et à ses « Divins Commandements ». Son regard avait croisé celui du hakka mais elle était persuadée que, vu les circonstances, il n’avait pas pu la reconnaître. Aussi avait-elle été stupéfaite de le voir débouler de l’estrade en criant :
— Mademoiselle ! Mademoiselle !
Se ruant vers elle, il lui avait déclaré, mains jointes, comme s’il était en présence d’une apparition céleste :
— Mademoiselle, mademoiselle… je vous ai reconnue ! Dieu soit loué !
Derrière l’illuminé se tenait un autre hakka. Moins excité que Hong, mais tout aussi ravi que lui.
— Moi aussi. Vous êtes Hong Xiuquan ! Mon nom est Laura Clearstone et lui, c’est Joe, mon petit frère…
— Vous avez une excellente mémoire, Laura. Je suis effectivement Hong. Et lui, c’est mon meilleur ami, Feng Yunshan. Comme moi, Feng est un ancien maître d’école. Depuis que j’ai fondé la Société des Adorateurs de Dieu, il est devenu mon bras droit.
— Enchantée !
Sans perdre une seconde, Hong, qui triturait son chapeau de feutre à larges bords, était allé au fait.
— Mademoiselle Laura, Dieu ayant eu l’infinie bonté de vous placer sur la route de son fils, je vous supplie de me rendre un fier service… Je cherche quelqu’un qui parle bien l’anglais pour m’aider à traduire en chinois le Nouveau Testament… Vous habiteriez chez moi, à la campagne, pendant quelques mois. La Société des Adorateurs de Dieu vous prendrait entièrement à sa charge, vous et votre frère. Vous savez, mon organisation compte déjà une centaine de membres. Au fil des semaines, elle grossit comme un fleuve en crue…
— Je suis disponible pour une telle tâche, monsieur Hong, s’était-elle entendue murmurer dans un souffle au hakka qui avait alors explosé de joie.
C’est ainsi que, louant Dieu pour la main secourable
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