Le sac du palais d'ete
Fleur de Sel un amour sans bornes et se comportait avec elle comme si elle était sa mère. Lorsqu’elle avait buté sur la fillette, alors que, bien décidée à mener sa barque comme elle l’entendait, elle s’apprêtait à quitter subrepticement Jintiancun, elle avait compris que, pour elle, rien ne serait plus jamais comme avant. Dans la seconde même où ses mains avaient touché l’enfant, elle avait accepté d’en devenir la mère avec tout ce qui en découlait. Elle y tenait désormais plus que tout. En hommage à ses parents et aussi parce qu’elle avait toujours été frappée par la perfection des cristaux salins qu’on pouvait ramasser autour de la mine où ils avaient péri noyés, elle avait prénommé la fillette Fleur de Sel.
Depuis que cet enfant avait fait irruption dans sa vie, elle s’y consacrait corps et âme, sans autre but que de lui donner tout ce qu’elle n’avait pas eu et de l’élever le mieux possible. Du coup, elle s’était remise en ménage avec Mesure de l’Incomparable dont le rêve était désormais qu’elle donnât à Fleur de Sel un petit frère. Le jeune Taiping était, au demeurant, peu présent à Jintiancun. Feng Yunshan {35} lui avait confié la mission d’enrôler deux mille paysans pauvres dans le sud du Guangdong. À la tête d’une vingtaine d’hommes, Mesure de l’Incomparable écumait les campagnes des environs de Maoming et de Zhanjiang où vivaient de nombreux hakkas qui n’avaient plus grand-chose à perdre, face à des petits propriétaires terriens qui leur demandaient des loyers fonciers de plus en plus exorbitants.
Fleur de Sel, debout sur ses petites jambes, manifestant le désir de marcher, Laura la posa délicatement à terre en la tenant par les deux mains. Dès qu’elle vit sa mère, ramenant Joe de la rivière, propre comme un sou neuf, la fillette commença à avancer un pied, puis un autre. Arrivée à quelques pas de sa mère, accroupie et qui lui ouvrait ses bras, l’enfant se lança et effectua seule les trois enjambées qui lui permirent de se jeter contre sa poitrine.
— Fleur de Sel marche ! Ma petite Fleur de Sel marche comme une grande ! s’écria, au comble du bonheur, la contorsionniste qui battait des mains comme une petite fille.
Émouvante Jasmin Éthéré ! Elle eût assisté au plus grand des miracles qu’elle ne se fût pas montrée plus enthousiaste.
Feng Yunshan apparut, un épais exemplaire de la Bible à la main. Le bras droit de Hong était un homme d’aspect juvénile dont le visage aux traits fins était dépourvu de moustache. Il s’assit à côté de Laura et lui demanda :
— Je dispose d’une bonne heure et demie. Sans vouloir abuser de ton temps, serais-tu en état de traduire l’avant-dernier chapitre de l’Évangile de l’apôtre Jean ?
— Allons-y ! lâcha la jeune Anglaise qui n’était pas mécontente de constater que son travail s’achèverait bientôt.
— C’est Hong qui insiste. Il veut que la traduction soit terminée pour le nouvel an… Heureusement que tu vas vite. Sans toi, nous serions dans de beaux draps !
— Le nouvel an, si je ne m’abuse, est dans trois jours… Et si je ne me trompe, nous passerons du Bélier au Singe… fit-elle, enjouée.
Elle appréciait la gentillesse, le sérieux et la modestie de Feng qui tranchaient avec l’exaltation de son patron.
— Il ne nous reste plus que six pages à traduire… Deux séances et nous en viendrons à bout !
Laura se mit à traduire à voix haute les phrases de l’apôtre Jean que Feng transcrivait à la hâte sur un carnet d’écolier. Toutes les dix lignes, elle répétait l’exercice, afin de permettre au Taiping de s’assurer de la bonne signification des caractères qu’il avait employés. Comme la jeune femme parlait correctement le chinois alors qu’elle le lisait avec difficulté et était incapable de l’écrire, elle s’était arrangée de la sorte, dictant sa traduction tantôt à Feng, tantôt à Hong lui-même, auxquels leurs rudiments de pidgin permettaient en outre de déceler les éventuels contresens de leur traductrice.
Au bout de deux heures d’exercice, il ne lui resterait plus qu’à traduire les deux dernières pages de l’Évangile selon saint Jean et la tâche que Hong lui avait confiée serait enfin achevée.
Feng ayant pris congé, plein de reconnaissance pour la célérité et le sérieux avec lesquels la future maman avait mené sa tâche à bien,
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