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Le Sac et la cendre

Le Sac et la cendre

Titel: Le Sac et la cendre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Troyat
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de services que je n’en rendais là-bas…
    — Mais oui, peut-être, dit Arapoff mollement.
    — La question n’est pas là, déclara Mayoroff avec hauteur. Partout où je serai, je ferai ce qu’on exige de moi. Tel est mon culte de la patrie et de la médecine. On ne me changera pas. Mais que pensez-vous d’une épouse qui se promène avec son ambulance à travers toute la Russie, pendant que le mari, installé à Ekaterinodar l’attend et la réclame ? Où est l’amour ? Où est l’obéissance ? Je dirai même : où est la raison ?
    — C’est vrai, soupira Zénaïde Vassilievna. Nina est une exaltée.
    — Dans certaines lettres, reprit Mayoroff, elle m’invite même à repartir pour le front. D’habitude, les femmes s’ingénient à retenir leurs maris trop téméraires, la mienne me pousse des deux mains vers le danger. La guerre, c’est très joli. Mais elle finira un jour. Il faut songer à l’avenir. Préparer sa carrière. Ce n’est pas dans la zone des combats que je m’assurerai une clientèle sérieuse pour plus tard. Nina ne veut pas le comprendre. Elle n’a aucun sens des réalités. Elle ne réfléchit même pas au ridicule de ma situation. Le docteur Mayoroff est à l’arrière, mais son épouse est en première ligne. Enfin, il y a des limites à tout, convenez-en ?
    — J’en conviens, dit Arapoff en lissant sa barbe du plat de la main.
    — Alors, aidez-moi.
    — Comment ?
    — Écrivez à Nina. Si elle n’obéit pas à son mari, elle obéira peut-être à son père. Adressez-lui une lettre digne et comminatoire. Dites-lui que vous êtes outré, que vous ordonnez, en tant que chef de famille, comme ceci et comme cela, enfin qu’il faut, que vous exigez…
    Arapoff écoutait Mayoroff avec fatigue et déplaisir. Ce garçon lâche et oratoire, qui se poussait, arrondissait sa clientèle, flattait les amis influents et jouissait des petits biens de la vie, ne lui était décidément pas sympathique. Il y avait chez cet être trop d’astuce, trop de prudence, trop de servilité, pour qu’Arapoff pût l’estimer ou simplement le comprendre. Il n’avait pas approuvé le retour du jeune homme à Ekaterinodar. Il devinait que Nina avait été déçue par la sage manœuvre de son mari. Et il donnait secrètement raison à sa fille contre son gendre.
    — Eh bien ? Vous ne pouvez pas refuser ? dit Mayoroff en glissant un regard sucré entre ses paupières épaisses et roses.
    Arapoff ne savait que répondre.
    — Tu sais, balbutia-t-il, les filles sont étranges… Quand elles ont une idée en tête…
    Mayoroff porta les deux mains à ses tempes et s’exclama d’une voix flûtée :
    — Comment, vous… vous le père de Nina ? Mais vous devriez être plus impatient que moi de la revoir !
    — Eh ! bien sûr, je suis impatient, mais…
    — Songez qu’à chaque seconde elle risque la mort, reprit Mayoroff. Les blessés apportent avec eux des maladies affreuses. La contagion est partout. Nina ne mange sûrement pas à sa faim. Elle travaille au-delà de ses forces. Elle use ses nerfs. Les avions allemands ne se gênent pas pour bombarder les hôpitaux. En cet instant même, peut-être…
    — Tais-toi, murmura Zénaïde Vassilievna en se signant. Tout ce que tu dis est juste, mais tais-toi. Cela fait trop mal…
    — Excusez-moi, belle-maman, bredouilla Mayoroff ; et il passa la langue sur ses lèvres. Je conçois que mes propos sont cruels, mais je ne reculerai devant rien pour convaincre Constantin Kirillovitch. Lui seul a assez d’autorité sur votre fille pour la forcer à revenir.
    Un silence lourd s’installa entre les trois personnages. Zénaïde Vassilievna observait son mari d’une façon suppliante. Il avait suffi pour la bouleverser que Mayoroff évoquât les dangers courus par Nina. Maintenant, elle était entièrement gagnée aux résolutions de son gendre. Elle attendait que Constantin Kirillovitch se déclarât d’accord avec lui.
    Arapoff était troublé par cette brusque coalition sentimentale. Sans doute était-il absurde que lui, le père de Nina, fût le seul à ne rien tenter pour la soustraire aux risques de la guerre. S’il suffisait vraiment qu’il écrivît une lettre à sa fille pour la déterminer à revenir, il n’avait pas le droit, moralement, de s’y refuser. À le voir

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