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Le Sac et la cendre

Le Sac et la cendre

Titel: Le Sac et la cendre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Troyat
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a pas touché un seul.
    — Les colis qu’envoie Tania ne me regardent pas, dit Zénaïde Vassilievna avec hauteur. Je veux que Michel sache que nous pensons à lui, nous aussi. Voyons, mets-toi à sa place : si tu étais prisonnier et que tu reçoives un paquet de tes beaux-parents, que souhaiterais-tu y trouver ?
    — Indiscutablement, du saucisson et des bougies, dit Constantin Kirillovitch.
    Zénaïde Vassilievna réfléchit un moment et avança les lèvres dans une moue calculatrice :
    — Je vais tout défaire et tâcher de ranger les objets autrement. Peut-être arriverai-je à caser le saucisson et les bougies ?
    Et elle renversa le contenu de la boîte en carton sur la table. Puis, elle aspira l’air profondément et murmura :
    — Quel malheur ! Ce garçon qui n’a jamais manqué de rien, et voici que je suis obligée de lui faire l’aumône.
    — Ne te plains pas, Zina, dit Constantin Kirillovitch, pendant huit mois nous l’avons cru mort.
    — C’est une honte ! Si l’organisation de la Croix-Rouge n’était pas…
    — Ils font ce qu’ils peuvent.
    — Évidemment, en tant que docteur, tu te crois oblige de les défendre. Mais ce sont des maladroits et des fainéants. Quand je pense que la pauvre Tania ne savait même pas si elle devait se mettre en deuil ou continuer à porter des couleurs… Et voilà… Un petit mot… « Nous vous avisons, etc. » Non, non, je trouve que la Croix Rouge est très coupable. On devrait protester.
    — Auprès de qui ?
    Zénaïde Vassilievna ne répondit pas et se pencha au-dessus de la table avec une mine préoccupée.
    — Allons, bon ! dit-elle enfin. J’avais oublié les sardines. Au lieu de rester assis à me regarder et à me critiquer, tu ferais mieux de m’aider un peu.
    — Je ne sais pas faire les paquets.
    — Excellente occasion pour apprendre.
    — Je suis trop vieux. Et puis, c’est dimanche. Le jour du Seigneur, je me repose des fatigues de l’hôpital. N’oublie pas que tu as invité le mari de Nina pour le déjeuner.
    — Il attendra. J’ai encore les paquets de Nina, de Nicolas et d’Akim à finir.
    Elle avait parlé avec une rage contenue. Soudain, elle tourna vers Constantin Kirillovitch son vieux visage bouffi et pâle, et chuchota d’une voix brisée :
    — Oh ! Constantin, n’est-il pas affreux que tous nos enfants soient loin, et tous en danger de mort ?
    — N’exagère pas, Zina. Tu oublies Tania et Lioubov qui, ma foi, ne risquent rien.
    — Oui, oui, mais les trois autres. Nous sommes assis là, tous les deux, dans la bonne maison qui les a vus naître et grandir, et eux… Ce n’est pas juste, Constantin… Tu ne peux pas penser autrement…
    Des larmes troublaient son regard. Deux mèches grises pendaient sur ses oreilles. Le docteur se leva et enlaça les épaules de sa femme d’un bras pesant et protecteur. Lui-même était très ému et dut toussoter pour s’éclaircir la gorge avant de répondre :
    — Toutes les familles russes en sont là. Ce n’est pas une consolation, bien sûr…
    — Oh ! non.
    — Que veux-tu, ma chère ? si tu aimes ce pays, cette ville, ce ciel et la langue que nous parlons, il faut admettre que tes fils prennent les armes pour les défendre. C’est dur, mais c’est nécessaire. Avec l’aide de Dieu, tôt ou tard, tout s’arrangera.
    — Que disent les journaux ?
    — Toujours la même chose. On se bat. L’offensive du général Broussiloff nous coûte cher, mais le succès en est certain. L’entrée en guerre de l’Italie et de la Roumanie ne simplifie pas le problème. En France, on semble content…
    — Quand cela finira-t-il ?
    Arapoff écarta ses bras et les laissa retomber sur ses hanches.
    — Je crois, dit-il, que tu feras encore beaucoup de paquets avant le retour de tes enfants.
    Et il alla se rasseoir dans son fauteuil, près de la fenêtre ouverte sur le jardin. Zénaïde Vassilievna reprit son travail, en soupirant. Arapoff l’observait, du coin de l’œil, tout en feignant de lire son journal. Le salon familial paraissait trop vaste pour elle. Il y avait aussi trop de guéridons dans tous les coins, trop de chaises, trop de tableaux. La bergère bouton d’or, boiteuse et confortable était à son poste, et toutes les silhouettes découpées dans du papier noir et serties dans des cadres ovales, et le portrait

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