Le Sac et la cendre
ses paquets. Enfin, il entra dans la chambre et s’écria :
— Quoi ? Tu dors ? Sais-tu l’heure qu’il est ?
— Non.
— Midi vingt, et j’ai eu le temps de faire bien des courses et de voir bien des gens.
Un tablier de toile bleue, maculé de farine, ceignait son ventre rebondi. Il tenait une casserole à la main.
— Je t’ai préparé un fameux gâteau pour le dessert, dit-il.
— Je n’ai pas faim, grommela Volodia en bâillant. Et tu me gaves avec tes gâteaux.
— Plains-toi ! D’autres se pourlécheraient les babines, et toi tu te renfrognes. Ce n’est pas chrétien.
Depuis qu’il s’occupait de la cuisine, Kisiakoff s’était spécialisé dans la confection de gâteaux très lourds et très sucrés. Et, sous peine d’offense, Volodia était obligé de s’empiffrer avec cette pâte douce, garnie de crème et de fruits confits. Kisiakoff ne lui faisait grâce d’aucune recette. Entouré de manuels culinaires, combinant en alchimiste les indications de trente gastronomes différents, il essayait sur son ami toutes les innovations qui traversaient son esprit. Finalement, les repas se ramenaient à quelques hors-d’œuvre, suivis d’un défilé de pâtisseries indigestes. À ce régime, Volodia engraissait rapidement. Il avait dû, déjà, faire élargir par son tailleur la plupart de ses pantalons. Son visage devenait pesant et rose. Il avait souvent des lourdeurs d’estomac.
— Je ne mangerai pas de gâteaux aujourd’hui, dit-il.
— Et pourquoi, s’il te plaît ?
— Parce que j’ai mal au ventre.
— Je te donnerai un petit verre de liqueur digestive et tu goûteras mon gâteau ensuite. Justement, il est léger comme un soupir de vierge.
— Non.
Kisiakoff jeta sa casserole sur le lit et croisa les bras avec vigueur :
— Tu t’entêtes pour me faire enrager, mauvaise graine Moi qui ai préparé la pâte dès hier soir ! Moi qui suis allé acheter des marrons glacés, ce matin, pour la garniture ! Et toute cette crème fraîche, cette cannelle, cette vanille.
Sa forte tête barbue tremblait d’indignation.
— Je suis trop bon, reprit-il.
— C’est moi qui suis trop bon en me prêtant à tes expériences.
— Tu rendras compte à Dieu de ces paroles, dit Kisiakoff gravement. Quant à moi, si tu dois me traiter avec cette ingratitude païenne, je préfère partir.
Il fit mine de dénouer son tablier. Mais il s’arrêta soudain et dit d’une voix tendre :
— Un tout petit morceau. Tu peux bien avaler un tout petit morceau, pour me faire plaisir ?
— D’accord, dit Volodia, mais je le couperai moi même.
— Oui, ma consolation, tu le couperas toi-même. Et tu me diras franchement ce que tu en penses.
Volodia s’assit au centre du lit et se passa la main en peigne dans les cheveux :
— Que dit-on en ville ?
— Bien des choses, bien des choses. Je te raconterai tout si tu es sage, répondit Kisiakoff.
Il reprit sa casserole et sortit en se dandinant un peu, comme un ours. Volodia le suivit des yeux avec une sympathie mêlée de rancune. Il sentait que Kisiakoff était responsable de son abaissement, mais il savait aussi que la vie eût été inconcevable pour lui sans Kisiakoff à ses côtés. C’était un mal nécessaire. Il fallait accepter cet homme, et même le remercier d’être là. Un parfum de sucre brûlé et de cannelle s’infiltra par la porte restée ouverte. Volodia en éprouva un petit écœurement douillet. Il imagina Kisiakoff debout devant le fourneau, la face enflammée, une cuillère à la main, et Youri tournant dans la cuisine, avec un air réprobateur et gourmé. Cette vision l’amusa et il essaya de la résumer en quelques mots spirituels. Puis, il se leva et passa dans le cabinet de toilette pour se laver, s’habiller et enfiler une robe de chambre.
Lorsqu’il pénétra dans la salle à manger, Youri disposait les couverts sur la nappe. Le visage du domestique était congelé dans le mépris. Un rictus de martyr plissait ses longues lèvres rasées.
— Ivan Ivanovitch en a-t-il encore pour longtemps ? demanda Volodia.
— On ne peut pas savoir, prononça Youri d’un ton contraint. Tout est sens dessus dessous dans la cuisine. C’est une écurie, passez-moi l’expression. Et Ivan Ivanovitch goûte avec son doigt.
Volodia se retint de sourire :
— Ne fais pas cette
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