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Le Sac et la cendre

Le Sac et la cendre

Titel: Le Sac et la cendre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Troyat
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ainsi, hésitant, partagé, on aurait pu croire qu’il n’aimait pas son enfant. Or, il aimait Nina autant et plus peut-être que ne l’aimaient les autres. Comme les autres, il souhaitait la retrouver au plus tôt. Mais il comprenait aussi que l’attitude de Nina était noble, et il ne se sentait pas le courage de la priver, égoïstement, de cette joie supérieure que procure l’accomplissement du devoir.
    — Eh bien, Constantin, dit Zénaïde Vassilievna, que comptes-tu faire ?
    Arapoff sursauta et considéra sa femme d’un air égaré :
    — Je… je vais réfléchir…
    Mayoroff proféra d’une voix suave :
    — Il ne s’agit plus de réfléchir, très estimable Constantin Kirillovitch, mais d’écrire, et sans perdre de temps. Votre fils Nicolas a été blessé. N’exposez pas votre fille à un sort analogue, par négligence ou par entêtement. S’il arrivait quelque chose à Nina, vous en seriez le seul responsable, et ce remords vous poursuivrait jusqu’à vos derniers jours.
    — Oh ! gémit Zénaïde Vassilievna, si ma petite Nina devait… et par notre faute… J’aimerais mieux mourir moi-même…
    — Chaque jour passé en tergiversations augmente les risques et diminue les chances, dit Mayoroff.
    Le visage de Zénaïde Vassilievna se déforma, devint laid et comique dans la douleur. Une expression mendiante arrondit ses prunelles. Sa bouche remua faiblement :
    — Constantin, je t’en prie…
    Arapoff baissa la tête.
    — C’est bon, dit-il, j’écrirai.
    — Quand ? demanda Zénaïde Vassilievna.
    — Demain.
    — Non, ce soir, ce soir, Constantin…
    — Alors, ce soir… Vous êtes terribles !… Vous ne comprenez pas !…
    Il fit une grimace et se pétrit le front des deux mains.
    — Merci, Constantin, murmura Zénaïde Vassilievna.
    — Moi aussi, je vous remercie, s’écria Mayoroff.
    — Oh ! toi !…, dit le docteur en souriant d’une manière flétrie. Et il s’approcha de la fenêtre, comme pour se guérir de quelque chagrin par la contemplation du ciel et des feuillages. Zénaïde Vassilievna le rejoignit et chuchota :
    — Je sais pourquoi tu hésitais, Constantin. Je ne t’en veux pas…
    — Eh ! qu’as-tu pu comprendre ? grogna-t-il en haussant les épaules.
    — Que tu étais fier de ta fille, répondit Zénaïde Vassilievna.
    Une vague de joie inonda le cœur de Constantin Kirillovitch. Il n’était plus seul. Il regarda sa femme avec gratitude.
    — En voilà une mouche, une mouche rusée, futée, dit-il tendrement.
    Et il lui baisa la main. Puis, on passa à table. Durant le repas, Arapoff parla peu et mangea beaucoup. Mayoroff, en revanche, heureux d’avoir obtenu gain de cause, était d’une loquacité fatigante. Il pérorait sur la guerre, sur l’hôpital, sur ses clients particuliers, sur le retour prochain de « Ninouche ».
    — Je lui préparerai son nid. Tout le monde nous enviera. Savez-vous que je suis au mieux avec le général commandant de place ? C’est moi qui le soigne, maintenant. Les relations, toujours les relations…
    Il riait petitement et se frottait les mains. Constantin Kirillovitch évitait de lever les yeux sur lui.
    Après le déjeuner, Arapoff ordonna au cocher d’atteler la calèche et se fit conduire hors de la ville, à la roseraie. Depuis quelques mois, il avait renvoyé le jardinier qui lui coûtait trop cher et négligeait sa besogne. Mais lui-même manquait de temps et d’énergie, et les mauvaises herbes piquaient les allées, les fleurs revenaient à l’état sauvage.
    Lorsqu’il pénétra dans son jardin, il fut attristé, une fois de plus, par son aspect inculte et foisonnant. Le gazon de la pelouse rongeait le sable du chemin. Des gourmands gras et luisants, pompaient la sève des rosiers. Les pucerons verts mangeaient les feuilles, attaquaient les pétales. Le désastre était partout. Arapoff prit un sécateur et coupa quelques drageons inutiles. Puis, il nettoya les feuilles des insectes qui les dévoraient. Un tiède soleil de septembre lui chauffait la nuque. Très vite, à bout de force et de patience, il alla se réfugier dans la cabane au toit de chaume, où, tant de fois, il avait bu le thé avec sa femme et ses enfants. La sueur ruisselait sur son visage. Le sang battait sous la peau de ses tempes. Il était découragé par la vanité évidente de ses

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