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Le Sac et la cendre

Le Sac et la cendre

Titel: Le Sac et la cendre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Troyat
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derrière Nicolas.
    — C’est pour vous qu’on le fait, camarades, dit l’un des voleurs en chargeant un sac sur son épaule. Ainsi, vous aurez de quoi fumer après la bagarre.
    — Ah ! oui ? Eh bien, attends. On va vous donner un coup de main.
    — Défense de quitter les rangs ! glapit Nicolas.
    — Il se prend pour un général !
    — À bas les généraux !
    — Non, non, il a raison. Restez ! Pas de pillage ! La discipline révolutionnaire…
    Nicolas ferma les yeux pour ramasser son courage. Le plus terrible n’était pas de chevaucher ainsi, malgré la fatigue et la faim, mais de sentir que la multitude qui l’entourait se composait de personnages divers et indépendants, dont aucun n’était tenu de lui obéir. Saurait-il leur interdire le vol, l’injustice, la lâcheté, par respect d’une révolution idéale ? Déjà, il lui semblait que la belle unité de cette armée se fractionnait, s’altérait, échappait à son amour, à sa vigilance. Des points d’appui lui manquaient. Des îlots hostiles partaient à la dérive. Il réagit de toutes ses forces contre l’abattement : « Quand ils auront mangé, tout ira mieux. Il n’y a pas de révolution sans éclats de boue. Ignorer le détail. Voir les choses en grand. Historiquement. »
    Excluant toute pensée de son esprit, Nicolas se dressa sur ses étriers pour observer ce qui se passait au bout de la rue. Les soldats des premiers rangs s’étaient arrêtés, bloqués par un embouteillage de voitures automobiles et de traîneaux pavoisés de loques rouges. Du côté de la place de la Trinité, près du monument de Koutousoff, retentissaient des coups de feu et des cris. Des nuages de fumée montaient vers le ciel. Nicolas descendit de cheval et se fraya péniblement un chemin jusqu’aux abords de l’incendie. C’était un commissariat de police qui flambait. Une foule triomphante d’ouvriers et de cosaques était massée, en demi-cercle, devant la maison. Sur la chaussée de neige boueuse, reposaient des dossiers aux couvertures bleues, des tiroirs arrachés, des chaises cassées, des nappes souillées d’encre.
    « Ils sont cinq ou six enfermés dans le grenier, les canailles ! dit un ouvrier barbu, en prenant Nicolas par le bras. Toute la nuit, ils ont tiré avec la mitrailleuse. Ils ne veulent pas se rendre. Alors, on a mis le feu à leur baraque. Maintenant, ils se tiennent tranquilles. Ils n’ont plus de munitions. »
    À travers les fenêtres démantelées, sortait une fumée rousse que les flammes traversaient parfois d’un vif coup de langue. La toiture de zinc suait sa neige et craquait sourdement. Soudain, à la lucarne du dernier étage, apparut une tête d’homme, aux moustaches touffues, aux yeux fous. Des deux mains, le policier avait saisi le châssis et se penchait en avant, dans un cadre de vitres brisées, aspirait l’air d’une manière goulue. Nicolas vit nettement la bande rouge de son épaulette. Des nuées bleuâtres flottaient autour de lui, qui semblaient jaillir de son dos.
    « En voilà un ! Ne le manquez pas ! Salaud ! Antéchrist ! »
    Quelques cosaques épaulèrent leurs fusils. Des coups de feu claquèrent, arrachant des fragments de bois aux linteaux, des crachats de poussière aux murailles. Le tour de la lucarne fut criblé de balles. La tête bascula en arrière, comme si le pharaon se fût jeté à la renverse, dans un puits.
    — Il est touché !
    — Non. Il va chercher son fusil !
    — Elle est increvable, cette engeance !
    Un vieux monsieur à lorgnons, pauvrement vêtu, la barbiche rare, le dos voûté, s’approcha de Nicolas et lui toucha le coude :
    — Excusez-moi, monsieur l’aspirant, mais ne pourriez-vous leur dire que les pharaons ne sont pas tous des monstres ? Il faudrait distinguer. Beaucoup se trouvent être des moujiks, qui ont fait trois ou quatre ans de service militaire, comme soldats, et ne reçoivent que vingt roubles par mois pour maintenir l’ordre. Les vrais criminels…
    Il fut interrompu par une clameur assourdissante. Le toit était devenu violet sombre et crevait en vomissements des gerbes d’étincelles. À l’intérieur, l’escalier s’éboulait dans un bruit d’avalanche.
    « Hourra ! »
    Des gamins dansaient devant les cosaques, qui avaient abaissé leurs fusils. Une femme au chignon défait courut chercher un

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