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Le Sac et la cendre

Le Sac et la cendre

Titel: Le Sac et la cendre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Troyat
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vernis et les lances ornées de fanions. Ils venaient à la rencontre des hussards.
    — Sept, huit, neuf… Ils sont au moins une vingtaine, grommela Stépendieff.
    Akim arrêta son cheval et tira de l’étui ses jumelles Zeiss toutes neuves.
    — Demi-tour, dit-il après un bref coup d’œil. Revenons au village. Nous organiserons une embuscade à l’entrée.
    Tandis que les hussards tournaient bride, les Allemands se ruèrent au galop. Le bruit des sabots martelait le cœur de Michel. Un frisson joyeux parcourut son dos, comme la caresse du vent. Malgré lui, il songeait aux fêtes équestres d’Armavir : des gardiens tcherkess le poursuivaient pour lui ravir le chapeau de noix blondes qu’il tenait à la main. Les habitants de la ville l’acclamaient au passage. Tania l’attendait à la maison. Comment donc appelait-on son cheval ? Ah, oui ! Tatéma. Il n’avait pas changé d’âge, de visage, de destin. Il gagnerait la course. Autour de lui, galopaient des hommes aux faces grises, contractées par l’effort. Gavriloff rentrait la tête dans les épaules, comme s’il eût redouté une gifle. Fédotieff découvrait sa denture jaune dans un rictus craintif. Les pieds des chevaux rejetaient la route, brutalement, derrière eux. L’espace sifflait aux oreilles des fuyards. Un goût épais de gel et de sueur bourrait la bouche de Michel. Tout à coup, son pied gauche glissa. Il chancela sur sa selle, chercha l’étrier, le chaussa de nouveau avec soulagement.
    « Comme ça, comme ça », répétait-il au rythme du galop.
    Les poursuivants se rapprochaient à chaque foulée. Un officier les conduisait, sabre au clair, comme à la parade. « Sûrement, ils vont nous rattraper », pensa Michel. À ce moment, son cheval choppa du pied et changea d’allure.
    — Éparpillez-vous ! hurla Akim. Point de ralliement à la ferme !
    Éperonnant sa monture, Michel entra dans les terres labourées et se mit à galoper faiblement dans la direction du village. En même temps, il engageait la main dans la dragonne et tirait son sabre du fourreau. Un gros Allemand, au visage roux et vultueux, le rejoignit à bride abattue. Une allégresse violente, mêlée de terreur, envahit le cœur de Michel. Essoufflé, les joues en feu, il arrêta son cheval et glapit à pleins poumons :
    — Hurrah !
    La lance de l’Allemand glissa sur le ceinturon de Michel et les deux chevaux se heurtèrent flanc à flanc, d’une manière rude et maladroite. Michel aperçut, de tout près, comme à travers l’épaisseur d’une loupe, la tache rose et terrible d’une figure étrangère. L’homme haletait. Ses yeux étaient élargis par la haine. Il recula, cria une injure et lâcha sa lance pour empoigner un sabre. Michel para le coup et les lames grincèrent, acier contre acier. Le uhlan brandit encore son arme et tenta gauchement d’atteindre Michel à la poitrine. Mais le geste avait été trop court, et la pointe ne fit qu’érafler l’étoffe. Ce devait être un piètre escrimeur. On eût dit qu’il avait peur de frapper. « C’est moi le plus fort, songea Michel. Je le tuerai. » Comme s’il avait deviné sa pensée, le uhlan se tourna vers ses camarades qui poursuivaient les autres hussards et vociféra :
    —  Hier  !  Hier  !  Ich ha b’  einen (1)  !
    Son cheval se cabra et Michel vit monter vers le ciel une longue tête effarée, au chanfrein marqué d’écume et aux naseaux noirs.
    À présent, contournant l’adversaire qui se protégeait par un moulinet meurtrier, Michel s’efforçait de recouvrer son calme. Il observait intensément le galon et le numéro sur l’uniforme allemand. La large nuque de l’ennemi était trempée de sueur. Sa mâchoire tremblait. Il grommelait :
    —  Verdammte Sau (2)  !
    Michel fit mine de lui porter un coup de pointe au flanc, et le uhlan abaissa son sabre pour la parade. Aussitôt Michel changea la direction de son geste, et, se dressant sur ses étriers, frappa l’homme à la tempe, un peu au-dessus de l’oreille. La lame entama la chair et s’enfonça dans l’os. L’Allemand, sur sa selle, bomba le torse. Son visage revêtit une expression indignée. Puis, il tomba sur l’encolure de son cheval et le sang gicla de sa tête, violemment. Sans réfléchir, Michel le sabra encore sur le cou, à la naissance des vertèbres. Mais le corps ne

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