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Le Sac et la cendre

Le Sac et la cendre

Titel: Le Sac et la cendre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Troyat
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dans une chambre d’hôtel, il ne regrettait pas de l’avoir faite. Aurait-il pu parler avec la franchise nécessaire si l’ivresse n’avait pas annihilé en lui les dernières pudeurs ? À présent, déchargé d’un secret harassant, il se sentait plus à l’aise pour vivre. Simplement, il évitait encore de rencontrer Kisiakoff, dont il redoutait les sarcasmes. Cet homme incompréhensible était capable de tous les crimes et de tous les dévouements. Lorsque Volodia l’avait quitté, au petit matin, Kisiakoff lui avait répété son offre d’intervenir auprès de Tania. Mais, à mesure que les jours passaient, Volodia pensait de moins en moins à son amour contrarié. Depuis deux semaines qu’il était revenu de Norvège, un travail d’assainissement, patient et sûr, s’opérait en lui. Détournant son attention des souvenirs qui l’accaparaient naguère, il retrouvait du goût à mille détails de l’existence, qui, la veille encore, lui paraissaient méprisables. Ce retour de force et de raison le rendait optimiste. Il suivait avec tendresse les progrès de sa propre convalescence. Comme un malade qui, après des semaines de soins, pose pour la première fois les pieds sur le sol et s’étonne de sa vigueur recouvrée, ainsi Volodia admirait sa nouvelle résistance devant la tentation du passé. À plusieurs reprises, il s’étonna d’avoir souffert si longtemps à cause d’une femme. Un soir, même, il osa ouvrir un tiroir où il conservait la photographie de Tania. La vue de ce visage familier, aux boucles claires, à la lèvre orgueilleuse, le laissa insensible. Or, autrefois, il ne pouvait contempler ce portrait sans éprouver une violente contraction dans la région du cœur. Par mesure de prudence, il répéta l’épreuve le lendemain, et avec le même succès. Le doute n’était plus possible : cette jolie figure, gravée en bistre sur un carton glacé, avait perdu tout pouvoir d’ensorcellement. Plate et fade, elle n’était plus qu’une relique parmi tant d’autres, un objet. Avec des mains qui ne tremblaient pas, Volodia prit la photographie et la déchira en deux sur toute sa longueur. Puis, il jeta les morceaux dans la corbeille à papiers et s’immobilisa pour écouter son cœur. Il n’y avait en lui aucune révolte, aucun regret. Eût-il lacéré une facture inutile que son comportement intérieur eût été le même. Il mettait de l’ordre dans ses affaires, dans sa vie, c’était bien. Le téléphone sonna au moment précis où il portait la main sur quelques lettres de Tania pour leur faire subir le sort de la photographie. Volodia entendit le pas de Youri qui s’approchait de l’appareil. Au bout d’un moment, Youri pénétra dans la chambre et dit :
    — C’est Ivan Ivanovitch Kisiakoff qui vous demande.
    Volodia tressaillit et murmura sans réfléchir :
    — Réponds que je ne suis pas là.
    Resté seul dans la pièce, il se reprocha cette lâcheté insigne. Tôt ou tard, il lui faudrait bien revoir Kisiakoff, lui parler, entendre ses conseils ou ses réprimandes. De nouveau, une vague de faiblesse le recouvrit. Craignant une rechute, il consulta sa montre et résolut de sortir. Mais pour aller où ? Il était trois heures de l’après-midi. Son oisiveté était impeccable. Du matin au soir, il n’avait rien à faire et personne à voir. D’ailleurs, la pensée de son maigre compte en banque lui interdisait les distractions coûteuses. Une fois de plus, il se promit de réfléchir à la situation et de chercher du travail auprès de ses amis. Puis, il se fit apporter son manteau, son chapeau, sa canne, et descendit dans la rue. Comme il tournait le coin de la maison, il se heurta à Ruben Sopianoff.
    — Je venais te voir, s’écria Ruben Sopianoff en lui prenant le bras. Que fais-tu cet après-midi ?
    — Rien d’urgent.
    — Tu vas donc m’accompagner.
    — Où ?
    — J’ai promis de rendre visite à ce pauvre Stopper.
    — À l’hôpital ?
    — Bien sûr. Où veux-tu qu’il soit ? Sa jambe va mieux. Il pourra se lever dans une dizaine de jours…
    Volodia devint morose et gourmé. Chaque fois qu’il était sur le point de dédaigner la guerre, il se trouvait un imbécile pour lui rappeler qu’elle battait son plein. L’idée de pénétrer, rose et bien portant, dans une salle peuplée de grabataires lui parut absurde. Quelle

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