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Le Sac et la cendre

Le Sac et la cendre

Titel: Le Sac et la cendre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Troyat
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dans sa poitrine. Il les appela par leur nom, à voix basse :
    — Serge, Boris…
    Fédotieff se dressa d’un bond :
    — Ah ! démons ! Il y a un rat qui me renifle les pieds…
    Des rires s’élevèrent, et une botte de paille se mit en mouvement, vira sur place et se recoucha quelques pas plus loin.
    Michel voulut tirer son portefeuille de sa poche pour regarder les photographies de ses deux fils. Mais il faisait trop sombre. On ne pouvait rien voir. Et cela valait mieux ainsi : « Je n’ai plus de femme. Je n’ai plus d’enfants. Je n’ai plus de maison. Je suis le volontaire Michel Danoff. »
    Il soupira et se tourna sur le côté. Ses reins lui faisaient mal. Mais cette douleur était bonne. Là-bas, à Moscou, il y avait la honte, le mensonge, les larmes. Ici, tout était simple et brutal : « Si seulement je pouvais mourir au combat ! Est-ce que Volodia souhaite ma mort ? Si je ne meurs pas, la guerre finie, je le tuerai. »
    Un galop de cheval traversa la nuit. Des cris retentirent aux abords de la grange. Puis, tout se tut. Et Michel comprit avec délices qu’il allait enfin s’endormir.
    Vers quatre heures du matin, le maréchal des logis Stépendieff le réveilla en le secouant par l’épaule :
    — Debout !
    — Quoi ? Que se passe-t-il ?
    — Action de reconnaissance. Le capitaine a demandé huit hommes. Fédotieff, lève-toi aussi. Gavriloff, canaille, ne te défile pas, je t’ai vu. Il m’en faut cinq encore…
    Somnolents, titubants, les hussards rajustaient leurs uniformes et s’étiraient avec des bâillements cannibales.
    — Brrr ! quel froid, mon nourricier !
    — Justement que je rêvais du pays.
    — Elle te fait cocu, Gavriloff. Vaut mieux ne pas rêver d’elle.
    — Avec qui me ferait-elle cocu ? Tous les gars sont à la guerre.
    — Avec le pope.
    — Avec l’étalon.
    — Avec la bougie.
    — Vos gueules ! glapit Stépendieff. Laissez les autres dormir.
    Une demi-heure plus tard, les hussards étaient massés devant la grange, dans la lueur avare et fraîche du petit jour. Le capitaine en second, Arapoff, les passa rapidement en revue.
    Bien que servant sous les ordres de son beau-frère, Michel n’avait avec lui que des rapports officiels et distants. Craignant d’être accusé de favoritisme, Akim évitait de marquer de la bienveillance à l’égard du volontaire Danoff. D’ailleurs, leurs très rares conversations s’étaient toujours révélées décevantes. Akim devinait bien que Michel lui cachait la raison exacte de sa présence aux armées. Et Michel n’ignorait pas que Tania correspondait régulièrement avec son frère. Peut-être lui avait-elle avoué sa faute ? Cette situation trouble gênait les rapports des deux hommes et les contraignait à jouer une comédie qui ne les satisfaisait ni l’un ni l’autre. À plusieurs reprises, Michel avait même songé à demander un changement d’affectation. Cette fois encore, regardant Akim qui inspectait la tenue des hussards, il regretta de n’être pas pour lui un inconnu.
    — Tu as de la paille plein les bottes, disait Akim, en tendant sa main gantée vers les pieds de Fédotieff. Retire-moi ça. Et toi, Gavriloff, qu’est-ce que c’est que cette déchirure à la manche ?
    — J’ai accroché une ferraille, Votre Noblesse.
    — Vous m’avez l’air de dormir debout, tous tant que vous êtes, dit Akim en fronçant les sourcils.
    Il redressa sa petite taille et parut plus sec et plus dur encore, inhumain, sclérosé. Un reflet de métal passa dans ses prunelles étroites.
    — En selle ! commanda-t-il. Direction ouest, sur Brjeziny.
    La troupe se mit en marche dans le brouillard. Bientôt, sur un signe d’Akim, les chevaux quittèrent la route et prirent à travers champs. Michel essayait de percer du regard ce néant floconneux où oscillaient des silhouettes de fantômes. Les hommes somnolaient ou bavardaient à voix basse. Une odeur de pluie et de vase venait de la terre. Tout à coup, Akim cria :
    — Danoff, viens ici.
    Michel poussa son cheval et se trouva en tête du peloton, aux côtés d’Akim. Ils chevauchèrent botte à botte, un long moment, sans échanger une parole. Puis, Akim dit :
    — J’ai reçu une lettre de Tania.
     – Ah ! 
    — Elle se plaint de n’avoir pas de tes nouvelles.
    — Je lui écris quand j’ai le

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