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Le Sac et la cendre

Le Sac et la cendre

Titel: Le Sac et la cendre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Troyat
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aura la ferme et pas le château ?
    — Je dis ça sans savoir. Mais chacun sera servi également.
    — Parle-nous des vaches. Il y en a une centaine près de chez moi qui appartiennent à un gros salaud de propriétaire moscovite. Il ne vient jamais au pays. À quoi ça lui sert ?
    — Ton cas est simple. Tu dis cent vaches ? Et vous êtes combien de paysans au village ?
    — Deux cents.
    — Hum. Eh bien, chacun aura une demi-vache.
    — Comment ça, une demi-vache ? glapit l’interrupteur. Qu’est-ce que tu veux que je fasse avec une demi-vache ?
    — C’est de l’arithmétique.
    — Je ne veux pas d’arithmétique, je veux des vaches !
    Il y eut un clapotement de rires dans l’assemblée.
    Des têtes coupées oscillèrent aux lisières de l’ombre :
    — Hé ! Hé ! va te faire foutre avec tes vaches ! Qu’on nous laisse rentrer et ce sera déjà bien beau !
    — Vous aurez les vaches, camarades, hurla le soldat debout sur la table, j’en fais le serment. Nous devrions sans perdre de temps, élire un soviet des prisonniers, préparer nos revendications…
    — Qu’on nous donne à bouffer !
    — Qu’on ouvre les portes !
    — Qu’on nous serve de jolies petites femmes sur des plateaux !
    — Que le Gefreiter Wirt vienne nous chatouiller les pieds, tous les matins !
    — Oh ! Makar, tu me feras mourir de rire !
    — On aurait tout de même pu ne pas toucher au tsar ! reprit la voix plaintive.
    Les cris résonnaient violemment entre les parois de planches. La flamme de la chandelle palpita. On eût dit que l’excitation de ces hommes rendait leur odeur plus forte. Michel se rapprocha du cercle des auditeurs et frappa l’épaule d’Ostap, qui se tenait au dernier rang, les mains dans les poches, une cigarette en papier journal coincée entre les lèvres.
    — Viens par ici, Ostap, dit-il, j’ai à te parler.
     
    Ostap s’était chargé de préparer la fuite. Par l’intermédiaire d’un territorial alsacien, il avait troqué la croix de baptême en or de Michel contre deux vêtements civils usagés, un morceau de lard, une lampe de poche et une boussole. Le tout provenait d’un tailleur polonais de la ville, chez qui l’Alsacien prenait ses repas, le dimanche. Il était convenu que le paquet serait dissimulé au fond d’un arbre creux, dans la petite forêt qui bordait la carrière. Sur ce point, il fallait se fier à l’honnêteté du tailleur et du territorial. Aucun contrôle n’était possible. Et Michel craignait fort d’avoir été berné. Pour comble de malchance, le jour choisi pour l’évasion, les deux prisonniers ne furent pas dirigés sur la carrière, avec leurs camarades, mais détachés, avec trois autres hommes de la baraque, sous la surveillance d’un soldat, pour une corvée de ravitaillement. En les éloignant de cette carrière, les autorités allemandes compliquaient la tâche des captifs, car, à supposer qu’ils voulussent tromper coûte que coûte la vigilance du gardien, ils devraient, maintenant, suivre un long chemin en terrain découvert avant de pouvoir se réfugier dans les bois. Sagement, Ostap conseillait de remettre l’opération au lendemain. Mais Michel n’acceptait pas d’attendre. Chaque heure perdue aggravait, lui semblait-il, les risques que couraient Tania et ses enfants. Après avoir si longtemps refusé de s’évader, par respect des règles du jeu, il ne pouvait plus concevoir de passer une nuit supplémentaire dans les baraquements. En cas d’échec, les représailles étaient supportables : quelques jours de cellule, avec du pain K.K. et de l’eau pour toute nourriture. Peut-être aussi l’exposition au poteau. Ce n’était rien. Toute sa peau brûlait d’impatience. Il se sentait à la fois décidé et nerveux, comme à la veille d’un combat. Devant son insistance, Ostap résolut de lui confier la direction de la manœuvre.
    Il était cinq heures du soir, lorsque les hommes de corvée reprirent le chemin du camp. Ils tiraient et poussaient une grande charrette à bras, bourrée de rutabagas pourris. Le soldat allemand piétinait derrière eux, l’arme à la bretelle, les mains dans les poches. Attelés aux brancards, côte à côte, Michel et Ostap s’ingéniaient à marcher le plus lentement possible, dans l’espoir que la venue du crépuscule faciliterait leur dessein. Au sommet d’une petite

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