Le salut du corbeau
chose enrageante, humiliante pour son tourmenteur. Louis savait cela et l’exploitait habilement. Sam était trahi par sa consommation abusive d’alcool : il était devenu encore plus impulsif et colérique que d’habitude. Or, Louis avait depuis longtemps appris qu’un bourreau calme est beaucoup plus efficace. Il devait donc en aller de même pour la victime, même si c’était plus difficile. La colère pouvait très facilement être détournée vers celui de qui elle émanait. C’était la seule défense dont il disposait et il n’hésitait pas à y avoir recours.
Sam arracha ses pièces d’armure et les jeta à ses pieds, exposant sa cotardie* et une crinière de lion.
— Où sont-ils ? Ne t’avise pas de me répondre qu’ils sont dans l’abri, parce qu’on y est déjà allés.
Louis se rassit avec peine en s’aidant de sa main libre.
— Décidément, tu ne vaux rien comme questionneur. J’ai des côtes fêlées.
— C’est pas moi, c’est parce que tu es tombé de cheval comme un sombre abruti.
— Mon cheval ne m’a pas piétiné comme tu l’as fait, toi. Tu n’as aucun besoin d’aller aussi loin pour faire parler un homme. Non, écoute. Ce que j’essaie de te dire… c’est ce qui ne va pas avec toi. Arrête-toi donc de cogner comme un sauvage si tu tiens à ce que je parle. Ménage-moi un peu, d’accord ?
— Vos gueules. Apportez-moi de quoi me remplir la panse et potailler* ! hurla Sam à ses compères qui riaient.
Il se donna une contenance en tirant un tabouret à lui et s’assit.
— Ton chapardage ne te rapportera pas grand-chose. Je n’ai que du pain ballé et il doit être rassis à l’heure qu’il est, dit Louis.
— On s’en fout. Voilà. Je suis calme et je t’écoute. Parle.
Les lèvres fendues du bourreau se mirent à dégoutter le long de son menton à cause du demi-sourire qu’il ne put s’empêcher de faire à la vue du pain dur comme du roc qui avait été apporté à Sam. Le jeune homme dut le tremper dans le vin pour le ramollir.
— Ça ne t’aidera pas à t’éclaircir les idées, ce truc.
— T’occupe pas. Alors ?
— Aitken ! Tant de bredi-breda* pour rien. Tu te serais épargné beaucoup d’ennuis, et mon cheval serait encore en vie si tu t’étais donné la peine de ne pas lâcher tes veautres* enragés contre moi. Ils ne se sont même pas souciés de mon signe de paix.
— J’ai vu. C’est la faute à Iain. Je ne voulais pas que cela se passe ainsi.
— Avant de te parler, ce que j’avais l’intention de faire dès le départ, je veux que tu me fasses une promesse.
— Dis toujours.
— Ensevelis mon cheval, d’accord ? Élève-lui une montjoie* là où il est tombé.
Sam fit silence. Davantage touché qu’il ne voulait l’admettre, il s’étonnait de cette requête de sa part à lui, qui était plutôt du genre à songer aux repas qu’aurait pu fournir le pauvre Tonnerre.
— J’y réfléchirai. Ma bonne volonté sera à la mesure de ta reddition, répondit-il.
— Que voilà un propos habile. Bien. Comme je le disais, mes intentions étaient pacifiques. Il fallait que tu saches en me voyant que ta provocation en duel n’était ni acceptée ni refusée.
Il devait s’accorder de petites pauses fréquentes, car il était obligé de reprendre son souffle délicatement à cause de ses côtes froissées.
— J’avais un truc à te proposer. Quelque chose dont j’ai envie de m’abstenir maintenant, parce que tu me déçois. J’avais pourtant constaté une amélioration chez toi au cours de ces dernières années. Mais là, tu viens de tout gâcher. Tu te comportes comme un fornicateur irresponsable. J’espérais mieux. Quel nigaud tu fais, Aitken !
— Prends garde à ce que tu me dis, misérable sicaire*. Ton arrogance m’a toujours déplu. Elle cause ta perte.
— Daigne laisser Jehanne en juger. Laisse-moi lui en parler d’abord. Tu feras de moi ce qui te plaira ensuite.
Sa voix était neutre, comme s’il n’était nullement concerné par cette affaire. Comme s’il ne cherchait pas vraiment à se défendre, mais plutôt à rétablir les faits.
— Je voulais lui parler de mon truc à elle d’abord, et c’est ce que je vais faire. À elle avant toi. Il va falloir que tu attendes ton tour.
Sam s’arma d’une trique et bondit, de nouveau prêt à frapper. Louis le prit de vitesse et trouva la force de clamer bien fort :
— Aie au moins le respect de cette demande.
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