Le salut du corbeau
Fais-le pour elle, pas pour moi. Elle est ma femme. C’est à elle que revient le droit d’apprendre en premier ce que j’ai à dire.
Sam hésita. Louis poursuivit, plus bas cette fois :
— Va à Caen. Tu les trouveras chez moi. Il me semble que tu aurais dû y penser toi-même.
Sam avait dans le regard une lueur démente. Ses poings se serrèrent à nouveau :
— J’y ai déjà pensé, figure-toi. On est allés là-bas. Il n’y a personne.
— Comment, vous y êtes allés ? Il faut au moins deux heures pour se rendre là-bas et autant pour en revenir.
— Et alors ? Combien de temps crois-tu qu’on a perdu à attendre que tu te réveilles enfin ?
Surpris, Louis cligna des yeux. Il avait l’impression de ne s’être évanoui que quelques minutes à peine. Il regarda dehors, mais fut incapable de deviner l’heure qu’il pouvait être par le seul petit bout de pré qu’il pouvait distinguer par l’ouverture.
— Je l’ignore, admit-il.
— Eh bien, je vais te le dire : on est au matin. On a poireauté ici toute la nuit.
— J’ai été inconscient tout ce temps-là ?
— C’est ça, ouais. Faut dire qu’on t’a peut-être un peu secoué en cours de route. On a dû te traîner jusqu’ici. C’est que tu es bougrement lourd, tu sais. Ça n’a peut-être pas aidé.
Sam eut un mauvais sourire. Louis comprit alors pourquoi ses vêtements étaient en lambeaux et la raison pour laquelle ses meurtrissures s’étaient mystérieusement multipliées. Mais là n’était pas sa préoccupation immédiate. Il demanda :
— Et ils ne sont pas là-bas ? Tu en es sûr ?
Il n’y avait pas à s’y tromper : Sam détecta une inquiétude authentique dans la voix du géant. Ce fut probablement ce qui l’empêcha de se remettre à battre son prisonnier sans discernement.
— Oui, j’en suis sûr, dit Sam.
— Ils devaient m’y attendre. Je leur ai pourtant dit de m’attendre là-bas.
Une migraine, jusque-là en veilleuse, se mit à lui envoyer des décharges qui semèrent la confusion dans son esprit et brouillèrent ses pensées. Il était impossible que Jehanne et son escorte eussent été arrêtées. Il n’y avait aucune raison à cela : les sauf-conduits étaient valides. Avaient-ils été victimes d’un accident ou d’une embuscade ?
— Puisque je te dis qu’ils n’y sont pas. Allez, cesse-moi cette comédie et dis-moi où ils sont allés.
Louis regrettait d’avoir contraint Jehanne à partir avec Adam, car leur présence eût pu témoigner de sa bonne foi. D’un autre côté, il se disait qu’il eût dû les envoyer à Saint-Germain-des-Prés, le plus loin possible de ce Sam qui n’attendait que le prétexte de son inutilité pour couper court à toute forme de négociation.
Le jeunot à l’épée se présenta à l’entrée. Désœuvré, il poussait un peu de foin devant lui à l’aide du damas. Il en lança un peu sur les jambes de Louis et remarqua :
— Il y a des heures qu’on est ici, l’Escot*, et on en est encore au même point. Tout ce bavardage pour rien !
— Mais non, petit gars. Ne te fie pas aux apparences : je la tiens, ma revanche.
Les yeux transparents de Sam se posèrent brièvement sur ceux de sa victime, qui y reconnaissait trop bien un certain type de cruauté calculatrice qui prenait pour excuse à ses actes quelque idéal inaccessible. Un coup de pied dans les côtes confirma ses appréhensions.
— Sale corbeau. Tu les as fait partir exprès pour ne pas que je les voie, c’est ça, hein ? Mais, baste ! Ils me reviendront quand même au bout du compte. Sais-tu pourquoi ? Parce que je te tiens, toi, et que je vais enfin te détruire.
Le visage ensanglanté de Louis avait disparu derrière un rideau de mèches poisseuses. Il haletait, à demi affaissé. « Nous y voilà », se dit-il avec résignation. Puisqu’il n’y avait plus rien à dire pour faire dévier les choses, il plia un genou pour se redresser faiblement et dit, d’une voix rauque :
— À d’autres. Tu n’en auras jamais le courage.
— Ah, tu crois ça ? Tu crois vraiment que j’aurai besoin de courage pour te réduire en charpie ? Non. Je t’abhorre et ça me suffit. Tu ne peux pas t’imaginer à quel point j’ai attendu ce moment. Pendant des années, j’ai fourbi mes armes et maintenant, Burgibus*, il est temps pour toi de rendre des comptes. Parce que c’est là que tu t’en vas : aux portes de l’enfer.
— Tiens, te
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