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Le salut du corbeau

Le salut du corbeau

Titel: Le salut du corbeau Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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déglutit péniblement en gardant les yeux fermés pour ne pas voir son mari. Elle n’eut pas conscience qu’elle s’était remise à somnoler.
    Quelque chose comprimait sa poitrine. « C’est impossible. Il est là, juste à côté. Il dort, tout comme moi. » Elle rouvrit les yeux.
    Une main rouge appuyait sur sa poitrine. En un instant, elle aperçut aussi l’homme en noir, sa hache à la main. Son visage exprimait, malgré son austérité naturelle, un profond désarroi.
    —  À l’aide, crut-elle l’entendre dire.
    Elle se réveilla en sursaut et s’assit dans le lit.
    Louis ne s’était pas levé, comme il le faisait si souvent. Il dormait toujours, le visage un peu tourné vers elle, parfaitement immobile. Elle se demanda s’il dormait vraiment, avec ses yeux qui restaient souvent à demi ouverts. Elle avait depuis longtemps constaté ce fait chez lui. La plupart du temps, ils étaient fixes. Pourtant, elle eût pu aisément se persuader, sous la lueur flageolante du chaleil*, que son regard étrange suivait ses moindres déplacements. Cela ne devait être qu’une illusion, car Louis respirait profondément et ne bougeait pas du tout.
    Mais il était d’autres fois, et c’était le cas en ce moment même, où la respiration de Louis devenait inégale et où ses yeux se mettaient à rouler avec affolement dans leurs orbites. Ils pouvaient aussi subitement cesser tout mouvement et, pendant quelques secondes, se braquer droit sur elle en vacillant.
    Elle n’avait jamais pu s’habituer à le voir dormir. Cela avait quelque chose d’angoissant.
    Le sommeil la fuyait. Elle demeura assise auprès de Louis et surveilla ses moindres tressaillements, depuis le tic qui lui refermait les doigts jusqu’à une espèce de petit froncement des sourcils. Il regarda de droite à gauche, de gauche à droite, et ses paupières frémirent. Elle se demanda si cette légère agitation était le fait d’un rêve en cours et, si tel était le cas, de quoi il pouvait bien rêver, lui qui avait affirmé catégoriquement ne pas être sujet aux vagabondages oniriques. Comme chaque fois qu’elle le voyait ainsi, elle fut prise de l’envie de le réveiller, de l’extraire d’une expérience qui n’avait pas l’air plus agréable que celle qui venait de lui arriver à elle.
    Elle se pencha au-dessus de lui.
    Il s’accrochait au pendu dont il avait fait céder les vertèbres sous son poids. Pour une raison ou une autre, il ne s’y était pas pris de la manière habituelle. Mais peu importait : c’était chose faite. Encore une fois.
    Mais au lieu des exclamations de la foule, il y eut le silence.
    Louis se rendit alors compte qu’il était seul. Seul et suspendu à ce mort qui se balançait doucement sous son étreinte. Son souffle tiède caressait la poitrine désormais immobile.
    Il leva les yeux vers sa victime. Son cou cassé lui donnait un air recueilli. On eût dit qu’elle posait sur lui un regard affectueux. Une mèche foncée s’agita sous la brise. Ce visage, il le connaissait.
    C’était le sien.
    —  Non !
    Pris de panique, le bourreau ne sut comment il parvint à la fois à couper la corde et à tenir debout dans ses bras le corps inerte. Il le secoua doucement et palpa sa gorge d’une main fébrile en une quête qu’il savait perdue d’avance. La tête rejetée en arrière, langue pendante, bouche bée sur un dernier souffle dont il l’avait privée, sa victime posait sur lui ce regard figé qu’elles avaient toutes. Pour la première fois, il put voir clairement son propre visage. Celui qu’il n’avait jusque-là jamais vu autrement que par l’intermédiaire imparfait d’un miroir en étain poli. Et ce visage, c’était celui d’un mort. Il n’avait pas su le reconnaître avant. Et désormais il était trop tard. Trop tard. Il se sentit perdre le souffle et sombrer.
    —  Dieu, aidez-moi. Dieu, aidez-moi.
    Ses appels de plus en plus frénétiques se changèrent en hurlements paniques. Le défunt disparut et tout devint noir. Louis eut le temps de sentir son âme se dissoudre dans les larmes qui lui inondaient le visage avant d’être à son tour anéanti.
    Ses yeux s’étaient immobilisés sur elle et son souffle s’était suspendu. Jehanne n’aima pas cela. Elle lui caressa doucement la joue.
    — Louis ? appela-t-elle tout bas.
    Il sursauta et ses yeux s’ouvrirent tout à fait. Mais l’homme ne semblait toujours pas la voir. Sans prévenir, il empoigna Jehanne par

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