Le salut du corbeau
Jehanne sanglotait, bercée par Sam. On le laissa faire. Elle avait l’air d’avoir bien besoin de réconfort.
— C’était le haut mal, n’est-ce pas ? demanda-t-il.
Lionel se laissa choir mollement sur l’un des bancs de la table.
— Oui.
— Cela allait de soi.
— Il paraît que Jules César et Alexandre en souffraient aussi, fit remarquer le moine, pour faire taire le jeune homme.
Blandine lui servit un bolet d’infusion.
— Merci, ma fille. Aurais-tu de quoi de plus fort à y ajouter ?
À ces mots, les autres ne se firent pas prier pour réclamer eux aussi leur petit remontant, même si personne n’avait encore tout à fait dessaoulé.
Lionel dit :
— Je l’en croyais guéri. Cela faisait des années qu’il n’avait pas eu de crise…
Il regarda Jehanne.
— … Dieu fasse qu’il en faudra tout autant avant la prochaine, lui dit-il dans le but de la rassurer.
— C’est moi… c’est ma faute, dit Jehanne d’une voix tremblante.
— Mais non.
— Mais si. J’ai fait quelque chose que je n’aurais pas dû faire. Je m’en étais abstenue jusqu’à cette nuit et j’aurais dû continuer.
— Qu’as-tu donc fait ?
— Cela ne date pas d’hier… juste après mes noces, je me suis rendu compte que mon mari dormait les yeux ouverts.
— Que me dis-tu là, mie ? Non, laisse, continue. Ma foi, tu sais comment capter l’intérêt de ton auditoire.
Sam se mit à genoux devant elle, sans lui lâcher les mains. Il leva vers elle son visage fatigué. La jeune femme reprit, en s’adressant à lui seul :
— La première nuit où je l’ai remarqué, cela m’a inquiétée. Et alors j’ai vu qu’il avait de ces petits frissons, tu sais, comme ceux que faisait le vieux chien du père Lionel quand il gémissait en dormant.
— Bonne comparaison.
— Cette nuit, j’ai voulu l’apaiser en le caressant et… je crois que cela l’a mal réveillé.
— Et alors ? Ça nous arrive à tous d’être réveillés en sursaut. Qu’est-ce qu’il t’a fait ? Il t’a maltraitée ? S’il t’a maltraitée, je te jure que je…
— Non, non, Sam. Il m’a juste tiré les cheveux.
— C’est bien assez.
— Puisque je te dis que ce n’était pas sa faute. Écoute… on dirait qu’il a eu peur. J’aurais cent fois préféré qu’il se fâche et me punisse. Au moins, j’en serais quitte. Mais à la place, j’ai ceci qui va me hanter jusqu’à la fin de mes jours.
— Je te crois. Ça ne doit pas être beau à voir.
— Il m’a fait tomber sur lui. Mais je pense que ce n’était pas voulu de sa part. De la mienne non plus, parce que je lui ai donné un coup de coude dans… dans…
— J’ai compris. Aïe !
La jeune femme ne put faire qu’un signe d’assentiment. Elle était persuadée que cet épisode avait sonné le début de la fin entre Louis et elle.
— C’est ma faute. Je l’ai humilié.
— Foutaises, dit Sam, adoptant inconsciemment le genre de réplique que Louis lui-même eût servie.
Comme elle, il avait oublié la présence des autres dans la pièce. Il ajouta :
— Nous aurions dû nous en douter, de toute façon : le démon l’habite. Voilà une preuve de plus que c’est un monstre.
Jehanne repoussa son ami avec véhémence.
— Arrête, Sam ! Ne comprends-tu donc rien ? Je ne t’ai pas confié ce secret pour que tu en fasses ce qui te plaît. Le père Lionel a fait les prières qu’il fallait pour le préserver des rechutes.
— Peuh ! Des prières… Est-ce pour cela que ton bourrel* te fait vivre comme une nonne ?
— Je ne vis pas comme une nonne.
— Mais regarde donc un peu autour de toi, bon Dieu ! Il vous tient tous sous sa coupe.
— Tu ne peux pas savoir. Tu le connais mal, je te l’ai déjà dit.
— Et alors ? T’attends-tu à ce que j’éprouve de la sympathie pour lui, Jehanne ? Non pas. Il est mauvais, aussi faux qu’un jeton.
— C’est parce que tu n’as pas vu ce que moi, j’ai vu. Il a des cicatrices. Partout. Oui, là aussi.
— Malepeste. Es-tu certaine que ce n’était pas… autre chose qui a causé cette crise ?
— Qu’entends-tu par là ?
— Euh… c’est-à-dire que… hum…
Il se gratta derrière l’oreille. Elle devint rouge. Puis il dit, légèrement impatienté :
— Bon sang, Jehanne, ai-je besoin de te faire un dessin ? Un autre ? J’ai entendu dire que… que le plaisir intense est perçu comme très proche du haut mal.
Il
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