Le salut du corbeau

Sam. Et c’est à ce moment-là que tu l’as frappé. Voilà ce que tu sais. Cela m’a dégoûtée.
    — Mais…
    — Tu aurais dû prendre le temps de t’arrêter pour voir si c’était encore la chose à faire. Or, tu as passé outre, parce que tu ne pensais qu’à toi. Il avait quelque chose à te dire, Sam, quelque chose de très important. Mais toi, tu ne l’as pas écouté. Tu n’as pas cessé de le dénigrer.
    — Que voulait-il donc me dire ? demanda le condamné d’une voix lasse.
    Des larmes brillèrent sur les joues de la jeune femme comme de l’or fondu. Sam prit alors conscience de sa propre naïveté, de sa propension à croire que la vie se déroulait comme dans les contes, que le temps pouvait suspendre son vol, et les personnages, leurs actions jusqu’au grand retour du héros.
    Jehanne inspira profondément à plusieurs reprises pour tâcher de chasser le sentiment d’oppression qui l’envahissait.
    — Tu as toujours été meilleur ménestrel que guerrier.
    — Et, tel que tu me vois, je n’aurai été ni l’un ni l’autre. J’ai servi un idéal tronqué qui m’a conduit tout droit à cette sentence. Je devrais mourir de mon amour pour n’avoir pu en vivre, mais au lieu de cela j’ai tout raté et je mourrai pour rien.
    — Ne dis pas ça.
    — Que puis-je dire d’autre ? Je ne suis même plus capable de rêver, Jehanne ! Moi, l’idéaliste valeureux, je devrais me voir jeter à bas l’échafaud à coups de taille et d’estoc* au moment d’y monter et arriver miraculeusement à m’en sortir, comme un héros digne des fables. Mais à quoi bon toutes ces chimères. J’en ai plus qu’assez de l’ironie du monde.
    Les yeux émeraude de Sam se parsemèrent de grains d’ambre sous la lueur de la chandelle. Jehanne put se rendre compte que, malgré les revers subis, ces yeux-là étaient demeurés beaux. Quelque part dans la prison, quelqu’un se mit à psalmodier. Cela fit sourire Jehanne, qui dit :
    — J’ai appris beaucoup de choses, Sam. J’aimerais avoir le temps de t’en faire part.
    — Il t’en coûte si peu d’essayer. Qui sait ce qui m’en reviendra. Après tout, il ne reste plus guère autre chose à faire, et les cancrelats me font un bien piètre auditoire.
    Elle s’approcha de lui et le prit par les épaules avant de déposer sur ses lèvres gercées un baiser parfumé. Il demanda :
    — Tu m’en veux, n’est-ce pas ?
    — Non. Plus maintenant.
    Le gazouillis d’une voix d’enfant venue du soupirail au-dessus de leurs têtes les fit assécher leurs larmes en hâte. Jehanne se haussa sur la pointe des pieds afin de jeter un coup d’œil à l’extérieur. Sam tendit le cou et demanda :
    — C’est mon fils ? C’est Adam ?
    La jeune femme ne répondit pas tout de suite. Elle continuait de regarder en direction de la cour envahie d’adultes en grande conversation, lorsque soudain elle l’aperçut. Adam n’était pas accompagné de la femme du geôlier. Le garçonnet s’insinua à travers le groupe dense jusqu’à Louis dont il prit la main. Rendu curieux par le haubert* d’un garde qui se tenait là, il introduisit son auriculaire dans un entrecroisement d’anneaux. Il leva les yeux et tira le géant par la manche.
    — Père, pourquoi ce n’est pas vous qui avez un habit comme un chevalier ?
    — Jehanne, est-ce lui ? Parce que si c’est lui, je ne veux pas qu’il me voie ici, dit Sam en reculant aussi loin du soupirail que ses chaînes le lui permettaient.
    Jehanne se retourna et l’invita d’un geste à se rapprocher pendant qu’Adam disait :
    — Père. Père, écoutez, je vais vous raconter une histoire. « Il était une fois un héros qui s’appelle Louis, et qui est si grand que sa tête touche le ciel…»
    — C’est bien mon fils, dit Sam depuis son coin obscur.
    — Allez, viens, dit Jehanne. Il ne te verra pas. C’est plein de monde, là-haut, et… oh, viens vite. Il est maintenant occupé à poursuivre une balle. Je vois que Louis a pensé à tout pour le distraire. Il s’est bien douté que tu souhaitais voir Adam sans être vu de lui.
    Longuement, Sam contempla la course erratique de l’enfant que Louis ne cessait d’appâter avec la balle. Les prunelles lumineuses de Jehanne avaient été artistiquement reproduites et enchâssées dans un visage d’angelot que le jeu rosissait. À plusieurs reprises, les deux hommes s’entre-regardèrent sans que rien n’y parût.
    — Quel beau