Le salut du corbeau
garçon. C’est tout toi, dit enfin Sam.
Il remercia Louis d’un geste et se rassit avec lassitude sur la paille.
— Oh, n’en sois pas si sûr. Je veux bien croire que, côté apparence, il me ressemble, mais côté tempérament, très cher Sam, c’est ton portrait tout craché. Il me rappelle sans cesse le bon vieux temps. Sais-tu qu’il a baptisé tous les chats du domaine, qu’il les reconnaît tous et qu’il a élu domicile dans la tournelle afin d’y attendre son adoubement ? Vraiment, ça ne te rappelle personne ?
Sam sourit. Jehanne dit :
— Mais, bien plus encore, il aime la vie, tout comme toi… Oh ! Je n’aurais pas dû dire cela.
— Mais si, voyons, ne t’en fais donc pas, puisque c’est la vérité. Jusqu’à l’arrêt de mort, j’étais là, parmi les autres hommes qui, eux, peuvent continuer à vivre avec insouciance. Mais là, je ne sais plus ; mon corps n’est pas encore détruit, il est toujours fait pour vivre, et pourtant me voici déjà séparé du monde des vivants. Plus rien n’a le même aspect. Je sens mon âme qui s’éteint peu à peu. Dis-moi, est-ce qu’il sait… Adam… que c’est moi…
Il fut incapable de compléter sa phrase. Jehanne en devina la teneur et répondit :
— Non, pas encore. Nous le lui dirons un jour, plus tard, lorsqu’il sera en âge de le comprendre. En attendant, Louis l’élève comme s’il était sien.
— J’ai vu. Ils s’aiment, ces deux-là, n’est-ce pas ?
— Oui, beaucoup. La venue d’Adam a changé sa vie.
Sam soupira.
— Dans le temps, c’était lui, Baillehache, qui était l’intrus pour moi. Après, mon fils l’a été pour lui. Mais lui, au moins, il s’est montré capable de l’accepter. Oh, et puis, c’est aussi bien comme ça. Qu’est-ce que je lui laisserais, moi, de toute façon ? Le kilt que j’ai sur le dos ? Tel qu’il est, il sera heureux et à l’abri du besoin, et toi aussi, avec ton douaire*, le domaine et tout. Comment est-il ?
— Qui, Louis ?
Sam opina. Jehanne dit :
— La force de sa volonté fait en sorte qu’il semble se rétablir. Les physiciens* ne cessent de lui chanter sur tous les tons de se ménager sous peine de subir une nouvelle attaque, mais il refuse de se résoudre à cette éventualité.
Sam baissa les yeux.
— Jehanne, je suis désolé. Même sans ma condamnation, je crois bien que j’en crèverais de honte. En plus, il m’a déjà sauvé la vie une fois, dans le temps qu’on habitait dans le souterrain. Un routier qui s’en venait me tuer et qu’il a abattu. Et ça, c’est sans compter toutes les fois où je l’ai provoqué. Je lui dois une fière chandelle.
Le jeune homme déplora de ne pouvoir emporter avec lui un secret précieux qu’il regrettait de ne pas avoir gardé :
— Tu m’avais pourtant bien prévenu qu’il avait déjà été victime d’abus. Mais… j’ignore ce qui m’a pris. J’ai continué à cogner dessus, comme une brute. Il a tout encaissé sans broncher, avec un tel courage… Ça n’a fait qu’augmenter ma rage contre lui, tu comprends ?
— Pourquoi ne lui avoir rien dit de tout cela lorsqu’il a paru vouloir te parler tout à l’heure, au lieu de t’en prendre encore à lui comme tu l’as fait ?
— J’en sais rien. Ou plutôt si. Mais que crois-tu donc que je pouvais dire à un homme qui, demain, va m’étriper comme un gibier sanglant et hurlant ? J’ai peur de lui, de ce qui m’attend, de cette horrible violation de mon corps.
— Non, arrête !
Jehanne baissa la tête et Sam se rassit. Elle dit, tout bas :
— Je sais.
— Jehanne, peux-tu me promettre une chose ?
— Je veux bien essayer.
Elle s’assit à son tour dans le foin malpropre sans se soucier de sa belle robe et lui prit les mains.
— Dès que j’aurai fini de gravir les marches de l’échafaud, va-t’en. Promets-moi de t’en aller au plus vite. Souviens-toi de moi tel que je suis maintenant. Je ne veux pas finir sous tes yeux comme ça, comme… une tripaille de boucherie.
Sa voix se cassa. En pleurs, Jehanne, qui s’était mise sans s’en rendre compte à se bercer, se jeta dans ses bras. Sam ne put qu’esquisser un enlacement, car ses chaînes le retinrent. Il fut agité de sanglots nerveux.
— Ce n’est pas tant la mort qui me terrifie que l’agonie ! J’ai peur de souffrir. Crois-tu qu’il acceptera de me donner… quelque chose avant…
— Oh, oui. J’en suis sûre. Il n’y
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