Le salut du corbeau
s’y plieraient sûrement puisque, depuis la peste, on manque de monde partout…
Jehanne frotta affectueusement le poing qui se détendit enfin.
— C’est vrai, vous avez raison, je n’avais pas pensé à cela. Louis, ai-je votre permission d’aller lui rendre une dernière visite ?
— Ma permission pour quoi ? Oh, oui. Bonne idée, c’est ça, allez-y. Moi, de mon côté, je crois bien que je vais m’en aller faire un petit somme. Je me sens un peu fatigué.
Il se leva sans songer à prendre sa canne et se mit à la chercher des yeux alors même qu’il n’en avait pas besoin.
— Louis, êtes-vous sûr que ça va ?
— Oui… Si j’ai à m’absenter, même un instant, et qu’il demande à voir Adam, ne le faites pas descendre dans les remugles des cachots, d’accord ? C’est malsain et surtout ce n’est pas un endroit pour lui. Qu’il soit plutôt conduit dans la cour. Son père le verra par le soupirail. À tout à l’heure.
La main de Jehanne picorait distraitement dans les boucles cuivrées de son fils. Quelques badauds passèrent et sourirent à Louis qui était resté en retrait, à la porte de la maison rouge. Ils venaient tous deux d’apprendre que les autres prisonniers, complices de Sam, avaient été graciés. Au lieu de se hâter de vider les lieux, ces vougiers*, archers et arbalétriers traînaient place Saint-Sauveur, désœuvrés et désabusés.
Rue de Geôle, la dame et son fils furent introduits par un portillon dans une aile de l’édifice imposant de la prison qui conservait les fraîcheurs nocturnes tout le jour durant, en dépit de la cheminée où flambaient des fagots ; sans doute était-ce à cause de l’épaisseur des murs. Cette aile était destinée à l’habitation. L’épouse du geôlier, une femme replète aux joues rosies en permanence, se chargea volontiers d’Adam, de même que des instructions au sujet de ce qui ne devait paraître que comme une visite pour le condamné, tandis qu’on conduisait Jehanne à la porte menant aux cachots. Pleinement conscient de l’importance du moment, le petit garçon jeta les hauts cris, et l’hôtesse dut redoubler d’ardeur afin de le distraire de l’horrible cavité noire percée dans le mur, qu’il n’avait aperçue qu’un instant.
L’endroit était sordide, primitif. Le couloir était tout juste suffisant pour livrer passage à une personne. La jeune femme et le gardien qui l’accompagnait furent enserrés par des murs de pierres brutes et des portes noircies par la fumée de torches en roseau. De grosses blattes craignant la lumière détalaient devant eux jusqu’au fond du corridor étroit où une grande porte de fer verrouillée donnait accès à une cellule qui tenait davantage d’une grotte que d’une construction humaine. Les murs suintaient abondamment, et du salpêtre en barbouillait les parois. Le gardien déverrouilla la porte et lui livra passage en lui remettant un bougeoir. Jehanne s’avança dans une aire semée de paille où se dessinait la forme recroquevillée et immobile du captif. Peut-être Sam était-il parvenu à s’assoupir en dépit de ses bras maintenus en l’air par des chaînes. « Grand bien lui fasse », se dit Jehanne. Mais, à l’instant où la porte se referma, un raclement de chaînes dénonça un mouvement : l’occupant du cachot se retourna et fut capable de se lever pour l’accueillir. Les chaînes l’empêchèrent toutefois de trop s’approcher, et Jehanne s’arrêta juste hors de sa portée. Ils se regardèrent longuement.
Les boucles rousses et la barbe courte de Sam flamboyaient sous les lueurs de la seule chandelle prévue pour la nuitée qui, en ce lieu, était commencée depuis longtemps. Ses yeux émeraude étaient ensorcelants, encore empreints d’une furieuse passion de vivre. Que Sam en fût conscient ou non, en cela seul il défiait la mort malgré l’aigreur de son visage.
Le détenu dit, d’une voix rauque :
— C’est pour vous deux que je suis revenu et, au lieu de ça, je me retrouve avec des cafards.
— Je sais.
Une petite souris piétinait frénétiquement le foin tassé au coin du mur. Elle se pelotonna dans le creux aménagé et Jehanne ne vit plus que son œil scintillant, attentif. Peut-être s’apprêtait-elle à mettre bas.
— Alors… pourquoi ? demanda Sam.
— Tu le sais.
— Non, je ne le sais pas. Dis-moi.
— Si, tu le sais.
Il ne répondit pas.
— Il avait enfin baissé les armes,
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