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Le salut du corbeau

Le salut du corbeau

Titel: Le salut du corbeau Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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a qu’à le lui demander.
    — Non, c’est pas la peine. Il va refuser. S’il me drogue, ça se verra. Non, tous ces gens-là qui attendent dehors et dont aucun ne me hait réclament un spectacle. Ils veulent voir ma vie tailladée comme une longueur de soie dorée qui était destinée à habiller la belle femme que j’aime. Je ne serai donc qu’une guenille tout juste bonne à éponger mon propre sang. Ton mari est obligé de faire de moi une chose immonde. Il faut que, devant eux, je cesse d’être un homme.
    — Arrête, Sam ! Tais-toi, je t’en prie. C’est déjà bien assez de… de… Elle lui donnait de petites claques sur la poitrine. Subitement elle prit conscience de ce qu’elle était en train de faire. Elle pressa ses lèvres contre les siennes et ils se parlèrent tout bas.
    — Excuse-moi.
    — Ça ne fait rien.
    — On ne remarque jamais vraiment combien le cœur peut être quelque chose d’aussi central au moindre geste qu’on peut faire.
    — C’est bien normal.
    — Il y a une chose que les gens de la prison m’ont chargé de vérifier avec toi. Quand tu m’as demandé de ne pas assister à l’exécution, s’agit-il de ta… dernière volonté ?
    — Non. Ma dernière volonté, c’est que tu passes la nuit avec moi et que nous fassions l’amour. Je veux que mon cœur batte à se rompre, qu’il éclate pour toi une dernière fois.
    À ces mots, le cœur de Jehanne se mit au diapason du sien. Elle dit :
    — J’accourrai, qu’ils soient d’accord ou non. Mais avant, il faut que je te dise… Louis a demandé à te voir.
    — Ça va. « Dis, que faire ? Comment vivre ? C’est lui que je veux. Par lui je mourrai (91) . »
    Ils se séparèrent. Jehanne se leva et épousseta ses jupes.
    — Il faut que je monte m’occuper d’Adam pendant qu’il sera ici avec toi. Sois certain que je ne sortirai pas de la prison, d’accord ?
    — Oui. Je me demande ce qu’il me veut, dit Sam sombrement. Une fois dans la cour, Jehanne fut accueillie par un Adam échevelé qui se jeta dans ses jupes en criant un « Mère ! » ravi et par un Louis paisible, prenant à peine appui sur sa canne, qui lui serra la nuque à sa façon coutumière. Elle sentit quelque chose s’accrocher au bas de son chignon, là où des cheveux dépassaient légèrement de sa coiffe, et s’éloigna un peu de son mari pour y porter la main.
    — Un gafirot* ?
    Les lèvres de Louis se retroussèrent et il fit mine de prendre la fuite sous l’hilarité d’Adam. Jehanne le regarda faire, le gafirot* dans la main, encore étourdie par l’ultime requête de Sam. Louis ignorait la souffrance que pouvait lui causer sa petite gaminerie, lui qui ne cherchait sans doute, bien gauchement, qu’à alléger l’atmosphère pour l’enfant. Elle souffrait de voir les tristes efforts que Louis déployait pour détourner son attention de l’instant fatidique qui, inexorablement, approchait de minute en minute. Jehanne trouva le courage de sourire. Sans oser aller jusqu’à accrocher le fruit dans les cheveux du plaisantin, elle se pressa doucement contre lui. La main libre de Louis lui enlaça la taille. Les gens qui se trouvaient dans la cour leur accordèrent une certaine intimité en feignant de ne rien remarquer. Ils demeurèrent un long moment ainsi, à se bercer l’un l’autre, tandis qu’Adam continuait à jouer tout seul en leur tournant autour.
    Le procès revenait à l’esprit de Jehanne par bribes qui ressemblaient déjà à un ancien cauchemar. Elle n’arrivait pas à croire qu’il s’était déroulé seulement quelques heures plus tôt. On eût dit qu’une vie entière la séparait maintenant de l’après-midi dont elle reniflait pourtant encore la brise. Les mêmes soupes mijotaient aux feux et, à la maison, les platanes n’avaient pas dû perdre toutes leurs feuilles d’un coup. Un peu plus tôt, Blandine avait déposé des poignées de cresson de fontaine sur la table de la maison rouge. Elles devaient s’y trouver à l’heure actuelle, encore fraîches, apprêtées en salade, dans un grand bol en bois. C’était bien le même jour, il n avait vieilli que de quelques heures à peine. Or, les petites choses du quotidien n’importaient plus. Un jour ou dix ans, plus rien n’avait d’importance, sinon la fin d’une longue histoire d’amour, la fin d’une vie faite pour continuer. Le lendemain matin, le ménestrel allait partir pour de bon. Et cette fois pour un voyage dont

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