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Le salut du corbeau

Le salut du corbeau

Titel: Le salut du corbeau Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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Lionel dépassaient de sous la table. L’un des deux avait perdu sa sandale. Une fête avait dû se prolonger assez longtemps après qu’il eut décidé de se retirer. Il ne lui vint pas tout de suite à l’esprit que Jehanne l’avait alors accompagné au lit.
    Il dut faire le tour de la maison avant de la retrouver, endormie dans un coin, dans l’une des chambrettes. Elle était couchée sur le dos. Sa chevelure éparse formait une coulée d’or ambré sur la cotte de Sam, qui dormait près d’elle en chien de fusil.
    Sans faire de bruit, Louis s’en retourna tisonner le feu dans la grande pièce et y ajouta quelques bûches. Il retourna à la chambre des maîtres pour y prendre son damas dont il repoussa la gaine et retraversa la grande pièce sans que ses pas feutrés ne dérangent personne.
    Le bourreau vint à nouveau se tenir au-dessus du couple de dormeurs et l’observa un moment en songeant à une certaine légende arthurienne qu’avait un jour racontée le père Lionel. Alors, en guise d’avertissement, il planta son épée dans le plancher de bois entre eux (16) . Jehanne remua légèrement et Sam grogna, mais ni l’un ni l’autre ne se réveilla.
    Louis les regarda encore sans un mot, puis quitta la chambrette en refermant doucement la porte derrière lui.
    *
    La matinée était déjà bien entamée lorsque Louis franchit à nouveau le seuil de la chambre. Exceptionnellement, il était le dernier debout. Il trouva la pièce à vivre pleine de monde et la table mise pour un déjeuner tardif. Il fut salué avec un enthousiasme encore teinté d’éthylisme.
    — Bonjour, maître, lui disaient-ils, l’un après l’autre.
    — Comment ça va, ce matin ? Mieux, on dirait, dit Toinot.
    — Si, si, ça va.
    — Sam, je te demanderais, pour une fois, de ne pas lui chercher noise, d’accord ? supplia Lionel tout bas.
    — D’accord, qu’il y vienne, puisque vous y tenez tant que ça. De toute façon, je ne le trouve pas aussi pénible à endurer quand il est occupé à ruminer. Non, non, ne vous en faites pas. Je vais me tenir tranquille, c’est promis.
    Louis prit place à table, ferma brièvement les yeux et se pinça l’arête du nez entre le pouce et l’index, en signe de lassitude
    — Pas mon cas à moi, dit Thierry d’une voix pâteuse.
    Le pauvre hère se prenait la tête à deux mains. Margot fit circuler de la tisane d’écorce de saule. Seul Louis n’en prit pas.
    Jehanne émergea de la cuisine avec un plein pot de fromentée* qu’elle faillit échapper à la vue de son mari. Il fut immédiatement persuadé que c’était à cause de sa petite visite nocturne. Sam était assis devant lui et évitait de le regarder. Il n’avait, bien entendu, pas osé toucher l’arme maléfique qui devait être restée là où Louis l’avait plantée.
    Jehanne s’était empressée de rejoindre son mari. Elle l’enlaça et se mit à l’étourdir avec une quantité de petits riens. Il parvint à prendre son gobelet malgré les baisers et les caresses folles de sa femme.
    — Mais qu’est-ce que c’est que ces enfantillages ? dit-il.
    Elle balbutia nerveusement, avant de répondre :
    — Vous ne vous êtes pas réveillé de la nuit, Louis, pas même avec tout ce bruit qu’on a fait. J’étais très inquiète.
    — Si vous n’aviez pas tant bu, vous m’auriez vu attiser le feu peu avant l’aube. Maintenant, suffit. Lâchez-moi et asseyez-vous.
    La présence de sa petite femme le soulageait, même s’il n’était pas près de l’admettre. Il s’était passé quelque chose de bizarre au cours de la nuit, et il n’était pas sûr de vouloir savoir ce que c’était. Il leva les yeux sur la tablée devenue silencieuse. Jehanne prit docilement place au bout du banc, à la gauche de Louis. Elle baissa les yeux.
    — Une vraie nonne. Le goujat, le misérable brise-garrot, chuchota Sam à Thierry.
    Quelques heures plus tôt, Lionel avait culbuté, heureux, dans les lueurs perlées du soleil matinal. Il étudiait à présent consciencieusement tous les éléments d’une scène de ménage classique en espérant que les choses allaient en rester là. Son vœu fut exaucé.
    — Alors, elle vient, cette prière ? dit Louis.
    — Oh… oui, oui.
    L’aumônier, un peu confus de s’être fait rappeler à l’ordre, fit un signe de croix, joignit les mains et dit le bénédicité. Il semblait que Louis seul fût disposé à déjeuner ce matin-là. Ce qu’il fit d’ailleurs de

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