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Le salut du corbeau

Le salut du corbeau

Titel: Le salut du corbeau Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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bon appétit.
    L’air de rien, il demanda, en jetant un coup d’œil du côté de Sam :
    — Au fait, quelqu’un aurait-il vu mon épée ?
    L’Écossais reposa son gobelet et déglutit péniblement. Le regard persistant de Louis lui fit l’effet d’une brûlure.
    Il avait été le premier à se réveiller et à retrouver l’affreuse lame nue, dressée entre leurs corps comme une menace. Ce n’était pas là une épée ordinaire. L’épée d’un guerrier était un objet digne d’être glorifié dans les fables. Pas celle d’un bourreau. Il lui avait semblé que l’arme vibrait d’anticipation au fait qu’un adultère avait pu être commis. Il avait cru, et il le croyait encore, que le damas de Louis était une chose maléfique, potentiellement active par elle-même, qu’elle le désirait, lui, en tant que victime. La blessure et la souffrance étaient sa seule raison d’être et, par conséquent, elle semblait contenir cela dans sa structure même. Sam avait reconnu la douleur que pouvait causer cet instrument, comme s’il avait su la lui exprimer par sa seule présence. D’instinct, il avait roulé hors de sa portée. Son mouvement brusque avait réveillé Jehanne dont les nerfs, déjà passablement éprouvés, avaient failli céder à cette vue.
    Sam dit, en adoptant un air bravache :
    — On l’a vue, votre relique. Le sang qu’elle a versé l’a peut-être rendue sainte, mais moi, je n’aimerais pas être à votre place et avoir ça sur la conscience.
    — Saint ou criminel, on se ressemble tous avec la tête en moins. Aitken. N’oublie pas ça. À ma connaissance, nul n’a jamais été secouru par son propre sang.
    — Mais le bois de santal parfume la hache qui l’abat, cita Jehanne avec ardeur.
    Le père Lionel, qui écoutait sans intervenir cet échange de proverbes, songea avec tristesse : « C’est du philtre d’amour qu’ont bu Tristan et Iseult, et non pas d’une épée, dont Louis aurait besoin. »
    Sam lâcha un soupir et laissa ses yeux émeraude errer sur la tapisserie de la licorne et de la manticore* qui avait été tendue derrière Louis.
    — Au fait, j’y songe : saviez-vous que, si on se sert à boire dans un gobelet fait avec une corne de licorne, on est immunisé contre toutes sortes de poisons ? On devrait avoir ça ici. Parce que c’est aussi très recommandé pour ceux qui souffrent du « saint malaise* ».
    Louis comprit alors ce qui avait dû se passer au cours de la nuit. Son poing se referma lentement sur la table et le bourreau s’appuya davantage contre le dossier de la chaise.
    — Toi, je n’aurais pas dû t’enseigner le maniement d’une lame. Ça t’a rendu beaucoup trop téméraire pour un palefrenier. Tu devrais être en train de te faire bouffer par les vers à Najera avec les traîne-potence de ton espèce. Ainsi j’aurais la paix. Mais, comme on dit : « Graissez les heuses* d’un vilain*, il dira qu’on les lui brûle (17) . »
    Jehanne se leva, sous prétexte que quelque chose était en train de coller dans la marmite de l’âtre qui n’y était d’ailleurs pas. Elle vit les yeux du prédateur se river à elle comme deux aimants.
    On cogna à la porte avant que le père Lionel n’eût le temps de se lever pour flanquer Sam dehors. Tout le monde se tut et échangea des regards vaguement inquiets. Ce fut Louis qui s’essuya les mains et se leva pendant que Toinot et Thierry se tenaient prêts. Lionel profita de l’occasion pour souffler à Sam :
    —  Traille tou kipe your laïfe (18) .
    Hormis les courriers dépêchés à Louis depuis Caen, les visiteurs se faisaient généralement rares au domaine, et encore plus en hiver.
    C’était un messager. Ce que celui-ci avait de particulier, c’était d’abord son âge, une quinzaine d’années, tout au plus, et le fait qu’il n’appartenait ni au château du gouverneur, ni au bayle*. C’était un simple citadin. Il n’eut pas besoin de demander le nom de celui qui lui ouvrit et recula de deux pas.
    — Qu’est-ce que tu veux ? lui demanda Louis d’un ton sec. Le garçon s’avança bravement et dit :
    — J’ai un message pour vous de la Torsemanche.
    — Eh bien, donne-le-moi, dit-il en tendant la main.
    Au lieu de laisser tomber le pli cacheté aux pieds du bourreau comme les autres messagers avaient coutume de le faire, le garçon le lui remit en tendant nerveusement le bras.
    — Attends ici, lui ordonna Louis, et il s’apprêtait à refermer

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