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Le salut du corbeau

Le salut du corbeau

Titel: Le salut du corbeau Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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pensé plus tôt. Une ordalie*. Voilà bien un geste magnanime qui saurait plaire au vieux. Tu n’as pas les pieds liés, Aitken.
    Sans prévenir, Louis l’avait lâché. Il avait reculé hors de sa portée et l’avait froidement regardé se débattre.
    — Déprends-toi tout seul et je te laisserai partir. Mais si tu meurs avant d’avoir réussi…
    Il avait incliné la tête de côté et croisé les bras.
    — … ce sera ta faute et non la mienne.
    Comme Louis l’avait prévu, Sam s’était d’instinct balancé afin de s’accrocher par les jambes à un arbre voisin. Se délier les mains avait exigé beaucoup de temps et il était passé près de retomber à plusieurs reprises avant d’y parvenir, car Louis s’était mis à lui bombarder vicieusement les jambes, les poignets et les mains avec des pierres pointues.
    — Parce qu’il ne faut quand même pas que ce soit trop facile, hein, avait-il expliqué.
    Mais lorsque Sam s’était enfin retrouvé assis à califourchon sur la branche qui l’avait soutenu, à demi étouffé et les mains ensanglantées, Louis avait été une nouvelle fois fidèle à sa parole. Il avait laissé tomber ses derniers cailloux et était parti sans se retourner.
    Partagée entre l’horreur et le soulagement de savoir Sam sain et sauf, Jehanne avait écouté le bref récit qu’avait fait Louis de l’incident. Elle n’allait peut-être plus jamais revoir Sam. Et c’était sans compter son mari, son mari implacable mais juste qu’elle risquait de perdre aussi. Elle baissa la tête.
    — Vous n’aurez plus confiance en moi, maintenant, lui dit-elle.
    Il l’entraîna de nouveau à l’intérieur de la tour, le cuir de la ceinture lui effleurant le haut du dos comme un constant rappel. Louis lui fit face. Il abaissa son regard perçant vers les mains toutes menues qui tremblaient, croisées devant elle, et les laissa revenir au visage de Jehanne, qu’il voyait à peine. Était-elle seule responsable de tout cela ? Il en doutait. Mais il décida qu’il n’y avait qu’un seul moyen de le découvrir. Il répondit :
    — Pour regagner ma confiance, vous devrez me prêter serment par le sang.
    L’esprit déjà passablement troublé de Jehanne s’affola à ces mots qui n’avaient guère de quoi rassurer, autant à cause du geste lui-même qu’à cause de ce qu’il pouvait éventuellement impliquer. La jeune femme n’avait jamais entendu dire que ce genre de rite se pratiquait pour tisser quelque lien féodal : c’était plutôt en s’agenouillant devant son seigneur et en lui tendant les mains qu’un vassal jurait loyauté.
    — Mais… n’est-ce pas là une cérémonie païenne ? dit-elle d’une petite voix. Et nous sommes déjà mariés.
    Elle avait entendu parler de ces couples ancestraux et de ces guerriers qui, en signe de fraternité, mélangeaient un peu de leur sang.
    Louis répondit :
    — Ça va plus loin qu’un serment. Il y a une autre raison pour laquelle je vous fais cette demande.
    Elle continua en vain à chercher quelque argument pour détourner son attention et l’empêcher de mener à bien son inquiétant projet. Louis ne pressa pas sa femme. Il attendit sans un mot, avec cette patiente dignité un peu sévère qui lui était caractéristique et qui eût paru affectée chez n’importe qui d’autre. La jeune femme se sentit remuée par quelque chose de très ancien en elle, comme si des fragments d’un instinct préhistorique jusque-là profondément enfoui avaient soudain été remis à jour, ayant survécu à des siècles de doctrine judéo-chrétienne. Elle leva la tête vers son mari. Tel qu’il était, il y avait du primitif en lui. Et ce pragmatisme qu’il démontrait sans cesse… Peut-être allait-il avoir davantage confiance en ce symbole fruste qu’en une ou deux phrases ânonnées devant un prêtre. Elle se passa la langue sur les lèvres, avant de demander :
    — Quelle est cette raison ?
    Il sortit de sa poche une espèce de petit stylet ouvragé dont la lame semblait faite d’une matière inhabituelle. L’instrument avait un aspect exotique, très ancien. Il le lui tint devant les yeux et elle ne put retenir un mouvement de recul.
    — C’est… en os ?
    — Plus exactement en corne de licorne.
    — Quoi ? Les licornes existent donc ?
    — Les forêts sont encore immenses en certains endroits. Nous sommes loin d’avoir tout vu ce qu’il peut y avoir comme bêtes là-dedans. Les licornes sont

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