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Le salut du corbeau

Le salut du corbeau

Titel: Le salut du corbeau Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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comme une brûlure éloignée depuis longtemps de la flamme. Qu’elle le voulût ou non, depuis quelques lunes, Jehanne n’arrivait presque plus à trouver le sommeil malgré sa grande lassitude. Elle avait peur. Toutes les nuits, elle se réveillait en sursaut dès que Louis remuait, et il ne le faisait généralement pas beaucoup. Elle s’efforçait de ne pas le frôler, si bien qu’elle manqua plusieurs fois de tomber en bas du lit qui était pourtant vaste. L’odeur mâle de Louis la tenait en éveil, sur un pied d’alerte. Senteur d’homme était désormais synonyme d’angoisse. Et maintenant, dans le calme de la chambre, tout sentait Louis. L’air sentait Louis malgré la fenêtre légèrement ouverte sur un souffle vif et mouvant. Les draps sentaient Louis. Sa chemise de nuit sentait Louis, cette chemise qu’elle eût dû enlever comme il l’exigeait parfois, pour ensuite la remettre afin de s’y cacher en toute sécurité, une fois tout terminé. Avec son odeur à elle et seulement la sienne.
    Mais le pire, c’était qu’elle s’était vue incapable de le caresser même lorsqu’il était réveillé. Les marques sur son sexe ne l’avaient jamais vraiment dégoûtée. Mais à présent, l’évidence du traumatisme qu’elles avaient causé les lui faisait craindre. Louis s’aperçut de ce changement subit, mais il ne chercha pas à forcer les choses. Il ne s’imposa pas à elle. Il lui offrit même de s’absenter plus souvent, lui disant qu’avec le début des travaux de la ferme il pourrait dormir aux champs, sous la tente. Il ne comprit pas lorsque sa femme refusa cela avec véhémence. Elle eût pu avoir leur grand lit pour elle seule et dormir en paix. Mais non. Jehanne était sans cesse tiraillée par un mélange de crainte suscitée par le haut mal – dont il n’avait pas manifesté le moindre symptôme depuis cette nuit terrible des Fêtes – et son intense désir d’avoir son mari à ses côtés, de se repaître de sa présence virile.
    Il mit un mois entier à peaufiner sa petite idée. Certains talents devaient parfois être mis à contribution pour d’autres raisons que celles qui étaient inhérentes à la profession. La seule difficulté consistait à trouver quelque chose qui pouvait ressembler à une corne de licorne.
    L’occasion se présenta un soir de mai, alors que Louis ramenait à la tour un chaton agaçant. Depuis l’incendie, il n’y subsistait plus qu’une espèce de cheminée géante. Il y trouva Jehanne. Elle s’était endormie dans un tas de foin avec deux couvertures. Il résolut de l’attendre.
    Seule la lumière de la pleine lune éclairait la tour noircie, par l’ouverture où survivaient des vestiges roussis du toit. Jehanne se rassit brusquement et aperçut une grande ombre tapie dans un coin. Elle s’empara d’une lanterne qu’elle avait pris la précaution d’emporter et la brandit.
    — Qu’est-ce que vous faites là ? demanda-t-elle d’une petite voix.
    Elle se leva et recula tout au fond de la pièce circulaire. Il allait la punir pour avoir quitté le lit conjugal, elle en fut persuadée. Un coup d’œil par la porte demeurée ouverte lui montra le paysage argenté et frais. Un bruit furtif la fit se retourner : Louis se tenait toujours à l’autre bout de la pièce. Il avait enlevé sa ceinture. Il tendait la main.
    — Venez avec moi. N’ayez pas peur.
    Mais elle refusa de bouger, ses craintes se voyant confirmées. Il s’avança vers elle après avoir fermé sa main sur les extrémités de sa ceinture afin d’en faire une boucle. Jehanne recula contre le mur et laissa tomber la lanterne qui roula aux pieds de l’homme comme une tête coupée. Il regarda brièvement l’objet, le remit debout pour qu’il ne mît pas le feu au foin et dit à Jehanne, d’une voix presque douce :
    — Cessez de trembler ainsi. Apaisez-vous.
    La main calleuse que Jehanne craignait et désirait tout à la fois se posa sur le côté de son cou, et un gros pouce entreprit de lui caresser maladroitement la joue.
    — Je ne vous ferai pas de mal, Jehanne. Mais pour cela il vous faudra cesser vos fables. Je veux la vérité vraie, pas de contes. D’accord ?
    D’un geste presque caressant, il lui entoura les épaules de sa large ceinture rouge dont elle sentit le tressage à travers le tissu délicat de sa robe de nuit. Elle frissonna.
    — Oui, Louis…
    — Vous comprenez, les soupçons que j’entretiens depuis l’hiver à votre égard

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