Le salut du corbeau
recommanda-t-il.
Jehanne opina. Louis était subitement redevenu très doux. Il replaça le col de sa chemise de nuit et en renoua le ruban.
— Je… j’espère que cela vous aidera à guérir, dit Jehanne.
Elle s’avança pour se pelotonner dans ses bras. Il la serra contre lui, l’une de ses mains lui maintenant fermement la nuque. Dans son autre main, le stylet en ivoire fut bientôt remplacé par un objet en bois de forme oblongue.
*
La rumeur d’une foule envahit ses oreilles. De toute évidence, elle se trouvait dans une grande ville, sur une place pavée où l’on avait dressé une haute estrade surmontée d’un dais azur à fleurs de lys d’or. Sur un faudesteuil* était installé un petit homme châtain à la chevelure coupée en balai, comme c’était la mode. Sur sa tête brillait une couronne en or magnifiquement ouvragée et constellée de pierreries. Il était enveloppé d’un manteau de velours azur, lui aussi semé de fleurs de lys en fil d’or. Les bords en étaient garnis d’hermine. Autour de lui étaient regroupés environ une douzaine de dignitaires : conseillers, clercs et membres de la famille royale.
Soudain, une clameur s’éleva de la foule pour saluer l’arrivée d’un chariot. Le petit roi ricana et y porta ses yeux de félin matois.
L’homme qu’on amenait ainsi était chargé de lourdes chaînes au cou, aux poignets et aux chevilles. Le chariot était escorté par un groupe de six cavaliers : un à la tête, un à la queue et deux de chaque côté. Ils conduisirent le prisonnier devant un chapelain et se retirèrent avec le charretier. Seuls deux de ces gardes et le prêtre demeurèrent en sa compagnie, au pied de la dizaine de marches raides menant à la plate-forme grossière d’un échafaud. Quelques détritus atterrirent aux pieds du condamné qui ne parut pas les remarquer. Il semblait avoir appris que, dans ce genre de situation, on devait subir les injures avec stoïcisme et, par le fait même, en amoindrir les conséquences.
Charles de Navarre pianotait avec impatience sur le bras de son trône temporaire, tandis qu’il observait le malheureux qui, les joues trempées de larmes, chuchotait des paroles désespérées au prêtre. Sa chemise de toile grise ainsi que ses chausses avaient été lacérées et ensanglantées par des coups de fouet.
— Enfin ! soupira le roi, lorsqu’il vit le prêtre donner l’absolution à cet individu qu’il était venu voir.
Deux autres gardes se tenaient prêts de chaque côté d’un banc qui avait été installé sur la plate-forme.
— Baillehache ! Va faire ton devoir, dit le roi.
— Bien, Sire, répondit la voix grave d’un colosse qui se détacha de l’ombre, s’étant, jusque-là, tenu complètement au fond du dais.
Le bourreau vint faire face au roi en prenant soin de poser le fer de sa hache au sol. Il s’inclina. Il se détourna et descendit de l’estrade. Personne ne lança d’ordures à cet homme imposant. Le silence se fit. Il marcha posément en direction du condamné et riva son regard au sien.
— Allez-y, dit-il aux gardes.
La foule acclama cet ordre brutal et, tandis que les aides s’affairaient, le prisonnier fut libéré de ses chaînes, comme si, à partir du moment précis où on le confiait à Louis, il perdait toute capacité de défense. C’était comme s’il n’existait déjà plus. La foule recommença à crier en voyant la grosse main de Baillehache se refermer sur le bras de sa victime, au-dessus du coude. Portant sa lourde hache de la main gauche, il le fit grimper sur l’échafaud. À ce moment, elle reconnut l’homme : ce n’était pas celui du codex*. C’était Sam.
— Non ! hurla-t-elle.
Mais nul ne l’entendit.
Un clerc du roi les avait précédés et déroulait un parchemin. Il attendit que le bourreau s’avance pour présenter le condamné aux gens. Le regard de Baillehache parcourut brièvement la foule. Ils furent plusieurs à ressentir que la bise se levait, et ceux sur lesquels ses prunelles sombres s’immobilisèrent se crurent personnellement touchés par sa froidure.
En fait, seules quelques personnes attirèrent véritablement son attention pendant la lecture publique du jugement. Il ne se préoccupait guère des cris de la foule qui se pressait tout autour de l’échafaud ceinturé de gardes. Les planches de la structure érigée en hâte geignaient sous son poids. Il avait à peine posé les yeux sur le visage rendu anonyme
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