Le Sang d’Aphrodite
encourageait sa passion pour les chevaux, lui prêtait volontiers. Il traversa la ville au galop, la grand-rue n’étant pas encombrée à cette heure de l’après-midi, et s’arrêta à la porte nord, où la sentinelle le renseigna sur le chemin à prendre. Mais lorsqu’il arriva au monastère de la Vraie Croix, une déception l’attendait. La sœur tourière lui apprit que la mère abbesse était partie le matin même pour un couvent situé à la frontière avec la principauté de Tourov, afin de négocier l’achat d’un manuscrit pour leur bibliothèque. Il rebroussa chemin, furieux contre lui-même de n’avoir pas eu l’idée de rencontrer Théodora plus tôt.
Alors qu’il galopait vers la ville, une autre idée germa dans son esprit : à défaut de l’abbesse, pourquoi ne pas s’entretenir avec son frère ? Au fond, Igor ne lui était pas antipathique. Il devinait chez lui une nature ouverte et franche, quoique passablement vaniteuse, mais sans aigreur ni fiel. Si Igor consentait à lui parler à cœur ouvert, cela l’aiderait à comprendre le comportement de Théodora…
Une heure plus tard, après avoir rendu sa monture aux écuries et interrogé un scribe sur l’emplacement du domaine d’Igor, Philippos se trouvait devant la belle demeure surmontée d’un térem. Un domestique barbu l’introduisit dans la grand-salle et s’effaça en silence. Philippos se mit à examiner une collection de statuettes grecques, tout en réfléchissant aux questions qu’il allait poser à Igor.
Mais c’est la blonde Svetlana qui vint l’accueillir, suivie d’une servante qui portait un plateau chargé de rafraîchissements. Vêtue d’une robe d’intérieur crème brodée de perles de rivière, elle parut à Philippos d’une beauté rayonnante et sereine. Comme elle le reconnaissait, une expression de joie sincère se peignit sur ses traits.
— Boyard Philippos, quelle bonne surprise ! Mon mari vient de s’absenter. Puis-je faire quelque chose pour toi ou ton vénéré père ?
— Je ne sais… balbutia Philippos.
« Quelle déveine ! » songea-t-il avec dépit. Svetlana ne recevait sûrement pas les confidences de l’abbesse car, selon Artem, les deux femmes se haïssaient. Mais puisqu’il était là, il pouvait toujours essayer de lui soutirer quelques informations. Il s’installa devant la table, remplit sa coupe de kvas et porta une santé à la maîtresse de maison.
— Il s’agit de la sœur de ton époux, la mère supérieure du monastère de la Vraie Croix, expliqua-t-il en sirotant sa boisson. L’autre jour, je l’ai rencontrée en ville…
Il raconta toute la scène, puis décrivit de son mieux l’aryballe qui était tombée de sa poche.
— J’aimerais comprendre pourquoi la mère Théodora a réagi comme si elle avait vu le Diable en personne, conclut-il avant d’ajouter : Et pour toi, ce flacon évoque-t-il quelque chose ? L’as-tu déjà aperçu quelque part ?
— Non, jamais, répondit Svetlana.
Mais son ton manquait de conviction et elle détournait sans cesse le regard. Philippos finit par se dire qu’elle avait menti. Il décida alors d’abattre son jeu.
— Dame Svetlana, je vais t’expliquer pourquoi mes questions ont autant d’importance pour notre enquête, déclara-t-il d’un ton grave. Cela n’a rien à voir avec la mère abbesse. Il s’agit du meurtrier aux aromates. À cause de la rumeur, personne n’ignore aujourd’hui qu’il se sert du Sang d’Aphrodite, mais il n’en va pas de même pour le récipient qu’il utilise. Ces flacons copiés sur le même modèle constituent notre indice principal.
Philippos scruta le visage de la jeune femme sans parvenir à déchiffrer son expression. Svetlana demeura quelques instants silencieuse, la main posée sur son ventre. Puis elle leva les yeux vers lui et, soudain, un sourire de bonheur illumina ses traits.
— Confidence pour confidence, murmura-t-elle. Moi aussi, j’ai un secret, boyard : je suis grosse. Dans quelques lunes, je serai mère, alors… Comment dire ? Je me sens complètement détachée de toutes ces choses violentes et horribles. Je ne pense qu’à la vie de famille et à la joie d’élever mon enfant. Le reste n’a aucune importance à mes yeux !
Svetlana se leva de son fauteuil et se mit à marcher de long en large dans la pièce.
— C’est précisément à cause de ce parfum que je n’ai pas voulu… Du reste, il s’agit d’un épisode insignifiant,
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