Le Sang d’Aphrodite
servir d’aromate, d’épice, de condiment, de médicament, de tonique, de poison et de « parfum d’amour ». Mais la réputation de la plupart des remèdes de ce genre n’est-elle pas surtout dans l’idée qu’on se fait d’eux ? Car, à part les parfums à base de musc ou de civette, quelques labiées, le gingembre et la cannelle, qui sont avant tout des stimulants du système nerveux et des toniques cardiovasculaires, les effets érotiques que les traditions locales et l’imagination des auteurs prêtent à la plupart des plantes aromatiques relèvent de la crédulité. D’ailleurs, il n’est rien de plus subjectif que les senteurs ; on n’en saurait pas plus discuter que des goûts et des couleurs. Mais l’odeur est la mémoire de l’amour, elle prolonge l’acte trop bref d’aimer…
Pour conclure, disons que même si les parfums les plus chers, véritables produits de luxe, ont surtout été destinés aux castes sacerdotale ou royale, les gens de toutes les catégories sociales ont toujours désiré aimer, prier, faire la fête, jouir de la vie par tous les moyens – et donc, se servir des produits aromatiques. Ces derniers « mettaient du baume au cœur », au sens métaphorique, mais ils constituaient aussi une sorte de moyen d’échange immédiat, tout comme le sel, l’ambre jaune, le lapis-lazuli, etc. Enfin, c’est par les femmes, telles que la belle et savante Sappho, qu’a commencé la sécularisation des aromates. De quelque condition qu’elles fussent, les femmes ont toujours été, pour reprendre le mot de Paul Faure 3 , « l’aile battante et souple de la coquetterie, de la cuisine et de la magie ». De même que la reine de Saba est bien plus qu’un personnage historique, de même Marie de Béthanie, qui ne regarde pas aux trois cents deniers de parfums qu’elle répand pour le Fils de l’Homme, est bien plus qu’un symbole.
1 - Littéralement, fonctionnaires du Tribunal chargés de percevoir les amendes.
2 - Pour désigner cette catégorie de droujinniks du prince, on utilise en russe les termes historiques Iounnyié ou encore Otroki , les deux mots signifiant « jeunes ». Pour traduire ce terme, on a choisi le mot français varlet , diminutif de vassal , qui signifie « jeune garçon » ou « jeune guerrier » pendant tout le Moyen Âge. (Cf. Émile Littré, Pathologie verbale, ou lésions de certains mots dans le cours de l’usage .)
3 - Paul Faure, Parfums et Aromates de l’Antiquité , Fayard, 1987. Je recommande ce livre, merveille d’érudition et d’art de conter, à tous ceux qui sont fascinés par les odeurs et les senteurs.
GLOSSAIRE
Boyard, Boyarina (femme mariée) : les nobles de l’ancienne Russie. Ce mot, apparu au X e siècle, désignait d’abord les proches compagnons d’armes du prince, puis, plus largement, toute personne noble, varègue ou slave. Un boyard pouvait faire partie de la droujina du prince ou vivre dans sa ville d’origine, voire sur ses terres.
Droujina :
a) L’armée du prince, qui était composée de la droujina des Anciens et de la droujina des Varlets (c’est-à-dire « jeunes guerriers »). Ce n’était pas le nombre, mais l’âge des guerriers et leur appartenance sociale qui faisaient la distinction entre les deux.
b) Tout détachement militaire de moyenne importance composé de guerriers (souvent, de mercenaires) au service du prince ou d’un boyard.
Droujinnik : guerrier appartenant à la droujina des Anciens ou à celle des Varlets.
Grivna : principale monnaie russe : 250 g d’argent ou d’or massif. Se divisait en demi-grivna, quart de grivna, etc.
Kouman (Couman) : peuple nomade d’origine turque, venu d’Asie centrale, ennemi principal des Russes entre le XI e et le début du XIII e siècle, auquel succédèrent les Tatars.
Sarafane : longue robe sans manches, le plus souvent boutonnée devant et portée avec une ceinture ; elle habillait les femmes de toute condition.
Térem : mansarde abritant les appartements assignés aux femmes.
Varègues : nom que les Byzantins et les Slaves donnaient aux Vikings. Ces Scandinaves, excellents navigateurs, guerriers et commerçants, furent les fondateurs de la Russie de Kiev.
Varlets : jeunes guerriers dont la droujina constituait la principale force de frappe de l’armée du prince.
Sur l’auteur
Elena Arseneva est née à Moscou, de mère russe et de père italien. Elle est très tôt initiée à la
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