Le Sang d’Aphrodite
soit deux cent cinquante sicles, de cinnamome odoriférant, deux cent cinquante sicles de roseau aromatique, cinq cents sicles de cannelle, selon le sicle du sanctuaire, et un setier d’huile d’olive. Tu en feras une huile d’onction sainte comme en compose le parfumeur ; ce sera l’huile pour l’onction sainte. Tu en oindras la tente d’assignation et l’arche du témoignage. […] On n’en répandra point sur le corps d’un homme, et vous n’en ferez point de semblable, dans les mêmes proportions; elle est sainte, et vous la regarderez comme sainte. Quiconque en composera de semblable, ou en mettra sur un étranger, sera retranché de son peuple.” L’Éternel dit à Moïse : “Procure-toi des aromates : résine, gomme à onglet odorant, galbanum, des aromates, dis-je, et de l’encens pur, en parties égales. Tu en feras un parfum à brûler, comme opère le parfumeur, sans autre ingrédient que du sel, un produit pur et saint. Tu le réduiras en poudre, et tu le mettras devant le témoignage, dans la tente d’assignation, où je me rencontrerai avec toi. Ce sera pour vous une chose très sainte. Vous ne ferez point pour vous de parfum semblable, dans les mêmes proportions ; vous le tiendrez pour saint, et réservé pour l’Éternel. Quiconque fera le même pour en respirer l’odeur sera retranché de son peuple” » (Exode 30, 22-38).
C’est pour avoir transgressé cet interdit que Salomon le Sage, Salomon le parfumé, est châtié par Dieu à la fin de sa vie – pour avoir oublié le Nom sacré de l’Éternel, dit la Bible, en faisant offrandes et sacrifices aux dieux de ses épouses étrangères ; en fait, pour avoir oublié d’ être à force d’ avoir toujours plus – de l’or, des terres, des femmes, des chevaux, des aromates. Comme le rappelle Hugo dans Dieu , chant V, « L’Aigle » : « Il dit : Je suis. C’est tout. C’est en bas qu’on dit : J’ai ! » Pour résumer l’apport du monde sémitique dans l’histoire des parfums, ceux-ci ne sont plus réservés à l’usage des dieux et des morts mais deviennent signes de joie, de prospérité et de bonne santé. Le profane ne l’emporte pas sur le sacré, il a simplement sa juste place dans la vie de tous les jours, comme si, avant l’heure, les Hébreux avaient voulu appliquer la consigne de rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu…
C’est toutefois la civilisation de la Grèce ancienne qui inventa l’art de la parfumerie à proprement parler. Au moment de la conquête de l’Égypte et de l’Asie jusqu’à l’Inde, vers 330 av. J.-C., arômes et épices jouent déjà un rôle irremplaçable tout au long de la vie d’une famille, même modeste. Au temps d’Aristophane, il existait à Athènes un énorme marché des essences et des plantes aromatiques, le myropôleion , où les flâneurs venaient respirer un autre air que celui des marchés aux bestiaux ou aux poissons. Certains parfums étaient même signés, comme celui fabriqué dans l’officine d’Eschine, disciple de Socrate et parfumeur de son état ! Si leurs recettes sont trop obscures ou inconnues, on connaît les prix pratiqués à Athènes au IV e siècle : le quart de litre de parfum de luxe représentait en valeur marchande plusieurs centaines de journées de travail pour un citoyen participant à l’Assemblée du peuple ou membre du Conseil. Quant aux dieux, ils se contentent de déguster ces mystérieuses substances, le nectar et l’ambroisie, et d’en oindre parfois le corps de quelque mortel qu’ils affectionnent. En fait, l’ambroisie, tantôt fragrance tantôt aliment solide, au goût et à l’odeur indicibles, n’est rien d’autre que l’immortalité : Homère et son temps l’ont inventée comme une réalité matérielle et abstraite à la fois ; c’est un élixir de vie , l’essence même du divin. Étymologiquement, le mot signifie la négation de la mort. À la différence de l’ambroisie, le nectar est toujours liquide et veut dire « l’arrêt de la mortalité » au sens étymologique ; c’est l’essence qui protège la vie des dieux, le remède par excellence. L’étonnant, c’est que ce fluide odorant est parfois conçu comme une sorte de vapeur ou de brume : au chant III de l’ Iliade , Aphrodite appelle Hélène en saisissant et en secouant le « voile de nectar » de celle-ci.
À part la mythologie et la littérature, le génie des Grecs, c’est
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