Le Sang d’Aphrodite
ses pensées. Puis il lança à haute voix :
— C’est faux ! Ma mère l’aimait tout autant… Seulement, elle n’a pas eu la chance de vivre assez longtemps pour le lui prouver !
Il tourna les talons, se dirigeant vers le jardin de la résidence. Il entendit le clairon sonner le rassemblement et, l’instant d’après, il vit Mitko et Vassili avec d’autres soldats traverser la cour au pas de charge. Artem l’attendait seul dans le refuge des quatre sages. Le garçon le rejoignit d’un pas lent. Il vint s’asseoir aux côtés du droujinnik et, la mort dans l’âme, entreprit de lui raconter son entrevue avec Vesna.
Lorsqu’il eut terminé, Artem quitta la tonnelle sans dire un mot. Il s’éloigna en boitant lourdement, la chapka repoussée en arrière sur ses cheveux grisonnants, la moustache en bataille. Ayant fait le tour de la clairière, il s’arrêta, le front appuyé contre un des piliers de la tonnelle. Au bout d’un long moment, il revint s’asseoir en face de Philippos. Le garçon scruta son visage : ses traits rembrunis par la douleur, creusés par la fatigue, endurcis par les épreuves, s’éclaircissaient petit à petit et se détendaient comme sous l’action d’une force intérieure. Enfin, quand il releva les yeux vers Philippos, son regard était impénétrable et serein.
— À mon tour de t’annoncer quelque chose ! déclara le droujinnik. Cette triste affaire finit tout de même par une bonne nouvelle. Comment s’appelle ce petit orphelin – tu sais, le frère cadet de la mercière assassinée ?
— Titos… Oh ! Mais bien sûr, tu penses au prix du sang ?
— Exact. Selon le code, Titos doit toucher le wergeld, et il a droit à une part importante de la fortune de Svetlana et d’Igor. J’ai parlé de lui à Vladimir. Tu connais le prince ! Il était ému jusqu’aux larmes et a promis de s’occuper personnellement du gamin. Du jour au lendemain, notre petit gueux deviendra un riche et honorable citoyen de Tchernigov !
— Hourra ! cria Philippos. Vive le prince !
— C’est tout ce que tu trouves à dire ? commenta Artem. Tu ne te demandes pas comment tu feras pour le retrouver ?
— Je connais le quartier qu’il fréquente, mais il me faudra un peu de temps, répondit le garçon, soucieux.
— Inutile de te casser la tête. Il est ici, logé aux frais de Sa Seigneurie… mais au sous-sol du palais – en prison, quoi ! Il a été arrêté hier pour vagabondage et vol à l’étalage.
— Quoi ? hurla Philippos en bondissant. Il faut intervenir en sa faveur, vite !
Il fixa le boyard qui souriait d’un air matois, avant de lui sauter au cou.
— Tu l’as déjà fait, pas vrai ?
— Pas besoin, grommela Artem en se levant.
S’appuyant sur le bras du garçon, il l’entraîna vers la sortie du jardin, où le soleil d’automne répandait sa pâle lumière.
— J’ai juste dit au prince qu’il s’agissait d’un ami à toi, expliqua le boyard. Il est libre et il t’attend… Alors, moi, je dis : vive Philippos !
POSTFACE
Avant même que la Russie fût organisée en État ( IX e siècle), sa situation sur la voie « des Varègues aux Grecs » explique la double influence qu’elle a subie : celle des Varègues (Vikings qui naviguaient sur le Dniepr et traversaient la mer Noire) et celle de Byzance. Les Varègues commencèrent à s’installer en masse dans les régions habitées par les Slaves vers le IX e siècle, apportant leur savoir-faire en matière de navigation, de commerce et d’art militaire ; la Russie en a également hérité les principes fondamentaux de législation. Quant à Byzance, son rôle est essentiel dans les domaines de la religion, du commerce, de la peinture et de l’architecture.
Ce fut Vladimir I er le Saint qui christianisa le pays. Une célèbre légende médiévale raconte comment, résolu à renoncer au paganisme, il envoya ses émissaires observer les différentes religions du Livre et lui rapporter leurs impressions. Ceux-ci, conquis par la beauté proprement divine du rite grec, déterminèrent le choix de leur prince. On peut affirmer avec autant de certitude que Vladimir, ce génie politique hors pair, comprit le rôle unificateur de la religion chrétienne. En 988, il se fit baptiser à Constantinople en même temps qu’il épousait la sœur des empereurs Basile II le Bulgaroctone et Constantin VIII. Dès son retour à Kiev, Vladimir I er imposa la christianisation à
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