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Le sang de grâce

Le sang de grâce

Titel: Le sang de grâce Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
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regard surpris et marmonné :
    — C’te va bientôt faire nuit,
not’dame. C’te point prudent.
    — Va, selle-la à
l’instant ! avait-elle ordonné avec humeur, chaque instant perdu ajoutant
à son agitation.
    Elle progressait depuis une bonne
demi-heure. La colère le disputait maintenant à l’angoisse. Petit fol, pauvre
insensé ! Heureusement, Gilbert le Simple l’avait renseignée sur sa
destination. Quelle idée avait eue Clément de partir ainsi pour la
Haute-Gravière ? Qu’allait-il y faire ? Collecter des échantillons de
sol ? Seul, en abandonnant son cranequin [99] au manoir ? Quelle sottise de couper par les bois de la Louvière
pour s’épargner une demi-lieue de marche quand il aurait pu emprunter un
cheval. Si seulement le chevalier de Leone avait reparu, elle aurait pu
requérir escorte de lui. Tant pis. Néanmoins, elle n’était qu’à moitié
rassurée. Le soir tombant ajoutait des ombres incertaines et menaçantes aux
taillis et les hauts arbres se dressaient comme des herses.
    Une neige épaisse était tombée,
enfouissant les repères, estompant les détails qui permettaient aux marcheurs
de retrouver leur chemin. La pleine nuit ne tarderait plus. Elle était si
impatiente d’engloutir les vestiges du jour en cette période de l’année.
    En dépit de sa longue cape fourrée
de loutre qui s’élimait un peu, cadeau de son défunt époux, et de sa robe de
laine, Agnès frissonnait. Elle se fit la réflexion que le silence était si
total qu’il en devenait surnaturel. Nul bruissement de feuilles, pas la moindre
galopade de petit animal fuyant à son approche, juste le crissement rythmique de
la couche poudreuse que foulait Églantine de son pied sûr et lent. La jeune
femme scrutait les alentours, tentant de distinguer de menues empreintes de pas
trahissant le passage de Clément. Soudain, la jument redressa la tête d’un
mouvement brutal en expirant avec bruit par la bouche. Agnès se tendit,
repoussant d’un geste involontaire le pan de son vêtement qui dissimulait la
courte épée pendue à la ceinture de sa robe. Elle exhorta d’un murmure sa
monture au calme, la poussa d’une pression de mollet et s’enfonça plus avant
dans le chemin. L’espace d’un instant, elle regretta cette selle de dame, qui
la désavantagerait contre un cavalier montant à califourchon. Certes, s’il
fallait fuir, Agnès était assez émérite amazone pour ne pas être désarçonnée.
Mais Églantine ne tiendrait pas la course vive très longtemps contre un hongre
mâtiné de sang arabe et donc beaucoup plus ardent et léger. Encore moins contre
un étalon destrier. Qu’allait-elle imaginer, à la fin ? Elle s’admonesta,
se contraignant à garder la tête froide. Elle cherchait Clément, voilà tout.
Elle le tancerait vertement, lui rappelant qu’il ne devait pas demeurer ainsi
éloigné du manoir au soir couchant, sans daigner la prévenir de surcroît.
Quelle folie l’avait donc guidé, lui si réfléchi à l’accoutumée ?
    Elle perçut l’écho des voix avant
d’apercevoir les deux, non, les trois silhouettes masculines à une trentaine de
toises devant elle. La crainte remplaça aussitôt sa mauvaise humeur. Des
malandrins à en juger par leurs hardes crasseuses, des coupe-jarrets comme on
en croisait souvent dans les futaies. Pourtant, un doute l’assaillit
lorsqu’elle entendit l’un d’eux crier à l’adresse de ses sbires :
    — Pas de quartier, messieurs.
Nous avons ordre de ne pas faire de prisonnier.
    Le ton, la formulation démentaient
sa première impression. Il ne s’agissait pas de brigands ordinaires. Elle tira
les rênes en volte afin de rebrousser chemin avant qu’ils ne l’aperçoivent.
C’est alors qu’elle distingua, derrière le demi-cercle formé par les hommes, le
visage décomposé de terreur, la petite forme reculant à pas lents en direction
des taillis, arc-boutée vers l’avant comme si elle espérait s’élancer pour
fuir. Clément.
    L’affolement dessécha la gorge
d’Agnès. Elle demeura quelques fractions de seconde figée, incapable de
réfléchir.
    Soudain, le hurlement de Clément qui
venait tout juste de la découvrir à quelques dizaines de toises de ses
assaillants lui vrilla les tympans :
    — Fuyez ! Fuyez, c’est un
traquenard, madame !
    La jument, alarmée par les
vociférations et par l’effroi qu’elle sentait jusque dans le maintien de sa
cavalière, hennit en piétinant le sol de nervosité.
    Agnès

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