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Le sang de grâce

Le sang de grâce

Titel: Le sang de grâce Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
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soupçonnait de calmer sa perpétuelle mauvaise humeur en
giflant trop volontiers les jeunes novices et les élèves, puisqu’en tant que
maîtresse des enfants, elle était la seule à pouvoir porter la main sur eux.
Annelette avait surpris tant d’yeux brillants de larmes, tant de joues rougies,
portant en relief la marque des doigts d’Emma. Qu’avait cette dernière à
raconter à l’infâme seigneur inquisiteur Nicolas Florin lorsque l’abbesse
l’avait surprise en conciliabule avec lui ? Et Geneviève Fournier, la gardienne
des viviers et de la basse-cour, avec son grand regard de biche ? À qui
donc avait-elle pu narrer le vol de ses œufs ? Geneviève ne chantait plus
de cantiques à tue-tête pour encourager ses volailles à pondre. Toute sa joie
semblait s’être tarie à jamais. Et Sylvine Taulier, la sœur fournière, petite
bonne femme massive dont l’activité ne faiblissait jamais, qui vous enfournait
les pains les uns derrière les autres comme si son salut était à ce prix ?
Et toutes les autres ? Quelle calamiteuse énumération. À qui pouvait-elle
se fier, se confier ? À Jeanne peut-être, ou plus sûrement à Elisaba
Ferron, qui remplaçait la pauvre Adélaïde Condeau comme sœur organisatrice des
repas et des cuisines à la demande insistante de l’apothicaire. Cette veuve entre
deux âges d’un gros commerçant nogentais venait tout juste de prononcer ses
vœux définitifs. Elisaba était de taille à assommer quiconque tenterait un tour
scélérat au-dessus de ses marmites. Quant à son caractère bien trempé, il
convenait à une forte femme qui cachait sa bienveillance et sa compassion sous
une voix de stentor et des manières de patronne d’éventaire.
    Qui ? Mais qui, à la fin ?
    Annelette était partie de l’idée que
la meurtrière cherchait à récupérer le sceau de l’abbesse. Reprendre tout au
début. Toutefois, elle n’était en rien coupable de ses erreurs nées de la
méfiance de sa mère !
    Annelette eut un pauvre sourire.
Bien, la pesterie et la combativité la regagnaient.
    Il convenait d’assembler les
morceaux disparates en repartant du véritable mobile de l’assassine : la
bibliothèque secrète et ses précieux ouvrages.
    Annelette s’approcha de la haute
armoire et en descendit un sac de ricinus communis [14] dont elle utilisait l’huile comme dépuratif,
rarement en raison de sa toxicité. Elle étala les graines grises marbrées de
rouge-brun sur la table de pesée et de préparation et s’installa sur le petit
tabouret. Elle fit glisser la première d’entre elles sur le côté gauche. Elle
figurait Adélaïde Condeau, leur gentille mais peu dégourdie pitancière, enherbée
par de l’aconit servi dans une tisane de lavande et de miel destinée à Blanche
de Blinot, prieure et gardienne du sceau de l’abbesse. Une nouvelle graine
rejoignit donc la première : Blanche, qui ne quittait plus guère le
chauffoir, somnolant la majeure partie de la journée, au point que des moniales
allaient parfois lui rendre visite sous des prétextes peu convaincants afin de
s’assurer qu’elle n’était pas morte dans son sommeil. Étrangement, l’aconit
utilisé ne provenait pas de l’armoire de l’herbarium, contrairement à ce
qu’Annelette avait redouté. La sœur apothicaire poussa une nouvelle semence un
peu plus haut : Hedwige du Thilay, sœur chevecière. Une autre graine
rejoignit celle d’Hedwige : Jeanne d’Amblin, à laquelle Annelette Beaupré
concédait une intelligence digne de ce nom. Certes, Jeanne avait été l’une de
ses suspectes des premiers temps, jusqu’à son empoisonnement. Le fait qu’elle
se trouvait en tournée à l’extérieur de leurs murs lorsque la préparation d’if
avait été dérobée de l’herbarium n’avait que confirmé son innocence. Avait-on
voulu tuer ces deux femmes amies, ou alors Jeanne ou bien Hedwige avaient-elle
avalé par mégarde l’aliment ou le breuvage enherbé destiné à l’autre ?
Dans leur cas, Annelette n’avait nul doute que les cinq gros* de poudre d’if
prélevés de sa provision de l’herbarium avaient servi à la tueuse. Les
symptômes présentés par Hedwige en attestaient, tout comme les convulsions, les
tremblements et les vomissements qui avaient agité Jeanne durant deux jours
pour céder place à une prostration somnolente. Une peine diffuse envahit
l’apothicaire lorsqu’elle plaça la graine suivante sous les autres :
Yolande de Fleury. La tendre et

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