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Le sang de grâce

Le sang de grâce

Titel: Le sang de grâce Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
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instable, Ronan hésita, puis, par amour et respect pour cet homme
fiable, brave mais fâcheusement dépourvu de légèreté, il osa :
    — Au contraire de votre
hospitalité, les ragots n’ont nul besoin de légitimité afin de se propager.
Sans doute madame avait-elle de multiples tâches à surveiller en son manoir.
Sans doute, un… rapprochement trop rapide et… public d’avec Authon ne sied-il
pas à une dame de sa qualité et de sa dignité. Sans doute…
    — Pourquoi l’appelez-vous tous
« madame » comme s’il n’en existait qu’une ? l’interrompit
Artus, partagé entre la perplexité et la mauvaise humeur.
    — Y en aurait-il d’autres,
messire ?
    — Pour qui ?
    — Pour vous. Pour moi qui suis
de votre entourage.
    — Pourquoi faut-il que je me
sente encore parfois devant toi comme si j’avais six ans ?
    Un air de bonheur sur le visage,
Ronan se souvint :
    — Dieu que vous étiez espiègle
et polisson… et farouche, déjà. Vous ne redoutiez rien… Que de bêtises, doux
Jésus, vous les collectionniez. Lorsque vous montâtes sur le toit du pigeonnier
pour vous assurer que le soleil se levait bien à l’est, j’ai cru mourir
d’angoisse. Impossible de vous en faire descendre. Quelle peur vous nous fîtes.
Et votre fugue nocturne dans la forêt afin d’y apercevoir la grande licorne
blanche de votre conte… Et le jour où vous faillîtes périr noyé parce que vous
vous étiez mis dans l’idée que si vous restiez assez longtemps la tête sous
l’eau de l’étang, des branchies de poisson vous pousseraient. Juste ciel, où
pêchiez-vous ces folies ? L’une n’attendait pas l’autre. J’ai cru mille
fois tourner bourrique.
    L’humeur du comte s’adoucit un peu
au rappel de ses inventions d’enfance, dont certaines avaient, en effet, failli
lui coûter la vie. Il reprit d’un ton plus égal :
    — Vous. Toi, ce petit Clément,
ce clerc d’Alençon… ce chevalier hospitalier dont j’ignore tout, si ce n’est
son nom, Francesco de Leone, et jusqu’à mon médecin qui me demande des
nouvelles des blessures de « madame » et lui fait porter un onguent
de sa fabrication dont il tient la recette jalousement secrète.
    Ronan ne fut pas dupe. L’obsession
de son maître se concentrait sur ce chevalier. Lui en voulait-il de lui avoir
ravi le salut de madame de Souarcy ? Ou s’agissait-il d’une bien commune
jalousie d’amoureux ? Conscient que son seigneur ne pouvait, en effet,
aborder ses craintes avec messire de Brineux, le vieux serviteur s’aventura
avec prudence sur le sol mouvant des sentiments :
    — Ah… Le chevalier…
    — Quoi, le chevalier ? Il
n’était pas le seul de mon énumération, n’est-il pas vrai ?
    — Certes.
    Le comte le considéra quelques
instants puis rendit les armes :
    — Avance, Ronan, et t’assieds,
puisque ton opiniâtreté n’a d’égale que l’incertitude dans laquelle j’erre
depuis des jours. Au fond, à qui puis-je me confier hormis toi… Ou elle,
« madame », ajouta-t-il avec son premier sourire depuis des jours.
    Le vieil homme s’installa roidement
sur l’un des petits fauteuils, ému par cette marque d’évidente tendresse et de
confiance.
    — Alors oui… ce chevalier. Je
ne sais qu’en penser, mon bon Ronan. Les idées les plus absurdes me viennent.
Madame de Souarcy ne le connaissait pas avant sa visite en sa geôle. De cela je
suis certain, Clément me l’ayant confirmé. Autre conviction : c’est de sa
lame qu’a péri Nicolas Florin. Quelle force a pu pousser un hospitalier de haut
rang à s’en prendre à un seigneur inquisiteur ? Comment, pourquoi l’a-t-il
rejointe à Alençon ? Car il y est venu tout exprès afin de la sauver, j’en
mettrais ma main au feu. Pourquoi cet Agnan, ce secrétaire du défunt monstre
Florin, balbutiait-il des phrases incohérentes au sujet de madame Agnès, au
point que je l’en ai cru amoureux ? Pourquoi tous ces êtres, ces hommes,
enfants… dont moi, je l’admets, sont-ils attirés par elle au point de risquer
leur vie pour protéger la sienne ? Pourquoi, mais pourquoi, ce chevalier
de Chypre ? D’où la connaît-il ? s’emporta-t-il brutalement.
    — Craignez-vous, dans son cas,
un… comment dire, un attachement inacceptable venant d’un homme de vœux ?
    — Eh quoi, pourquoi ne
serait-il pas tombé en amour ? Il ne m’a guère fallu de temps pour y
sombrer moi-même corps et âme, rétorqua le comte d’un ton à la

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