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Le sang de grâce

Le sang de grâce

Titel: Le sang de grâce Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
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lui avait jamais été destinée. Annelette ne
s’en était pas offusquée, songeant que ce vide qui l’entourait d’aussi loin
qu’elle se souvenait était sans doute mérité.
    Ce jour-là, sa mère n’avait pas
daigné quitter ses appartements, où elle priait jour et nuit, un sourire
lointain errant sur ses lèvres, sans presque jamais lever le front de son
psautier. La jeune fille disgracieuse, trop grande, trop anguleuse attendait,
mains jointes sur le ventre. Elle attendait la sentence paternelle et
fraternelle qui n’avait pas tardé.
    — Êtes-vous bien folle, ma
fille ? Seconder votre frère dans son art ? Auriez-vous perdu
l’esprit ?
    — C’est que, monsieur mon père,
je suis versée dans l’art médical et scientifique. (Elle avait tenté une ultime
justification, d’une voix presque plaintive :) Vous eûtes vous-même moult
occasions de vérifier que je pouvais me révéler d’aide appréciable.
    — Quelle insolence, quel front,
mademoiselle ! Vous devriez rougir de honte ! Vous êtes
femelle – l’oubliez-vous ? – et les femelles n’entendent rien à
l’art des sciences. Leur esprit n’est point bâti pour cette difficulté. Certes,
je vous concède qu’elles peuvent mémoriser, répéter des gestes, ou des attitudes.
Mais quant à l’analyse, au diagnostic…
    Le vieux mire, qui se prenait pour
un aesculapius [10] , bien qu’ayant enterré plus d’erreurs
médicales grossières qu’il ne pouvait compter de succès, s’était tourné vers
son fils, tout aussi piètre praticien, un sourire de connivence aux lèvres.
    — Allons, Grégoire… Si vous n’y
prenez garde cette donzelle vous apprendra bientôt comment se pratique une
saignée !
    Un gloussement suffisant avait
répondu à cette grotesque perspective. Puis Grégoire avait détaillé sa sœur des
pieds à la tête, un écœurement perceptible sur le visage, avant de déclarer
d’un ton las :
    — Bah… Si elle veut laver les
linges souillés ou préparer les onguents sous ma direction, je me passerai
ainsi de rémunérer un apothicaire. D’autant qu’elle pourra s’occuper de mes enfants
et décharger mon épouse de quelques tracas.
    — Voilà offre fort généreuse,
mon fils. Qu’en dites-vous, mademoiselle ? Prenez en considération votre
âge qui avance bien vite. Je ne puis maintenir chez moi une fille
vieillissante. Quant à vous marier…
    Annelette avait perçu l’espèce de
jubilation mauvaise qui passait dans leurs deux regards si semblables. Qu’ils
étaient donc satisfaits de la rabaisser à peu de frais. Elle avait soudain
compris. L’énormité de la vérité s’était imposée dans sa douloureuse clarté :
elle leur avait fait peur durant toutes ces années. Son intelligence, sa
faculté d’apprendre et d’utiliser la connaissance les avait terrorisés. À cause
d’elle, ils avaient été contraints de percevoir leurs limites. Ils ne le lui
avaient jamais pardonné.
    Étrangement, ce pénible constat
l’avait soulagée. Elle n’était plus d’eux puisqu’ils ne voulaient pas d’elle.
Elle n’avait plus rien à faire parmi eux. Elle avait déclaré d’un ton doux,
inflexible :
    — J’en dis que je la refuse.
    La fureur avait crispé les lèvres de
son père qui avait menacé :
    — Eh bien… Nous ne sommes pas
monstres à vous forcer. Cela étant, mademoiselle, il ne vous reste donc qu’une
solution… (Il avait pouffé en se tournant vers son fils et achevé d’un ton
goguenard :) À moins d’imaginer quelque crapaud qui se transformerait pour
vous en prince charmant !
    En imitation, Grégoire y avait été
d’un petit rire en salut de cette cruelle boutade.
    — Or donc, je ne vous vois
qu’une dernière solution, avait répété l’homme qu’elle découvrait méchant. Le
couvent, ma fille.
    — Comme il vous siéra,
monsieur. Il est de mon devoir de vous obéir.
    Elle n’avait pu estomper tout à fait
le sarcasme de son ton et la fureur de son père avait explosé :
    — Tudieu, ma fille ! Vous
me faites amèrement regretter le savoir qui vous fut prodigué…
    Rien ne lui avait été dispensé, si
ce n’étaient les vexations, les mortifications. Elle devait son savoir à elle
seule. Elle avait regardé, écouté, assimilé.
    — Voici bien la preuve de votre
ingrate nature. Quant à votre impertinence, elle n’est qu’une justification
supplémentaire des interrogations de plus en plus insistantes sur le bien-fondé
de

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