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Le sang de grâce

Le sang de grâce

Titel: Le sang de grâce Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
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ressentiment de ma part. Il ne s’agissait
que d’amitié déçue puisque je désespère que vous m’accordiez enfin la vôtre.
Chut, ne dites mot. Je… Je suis grandement fautive, et il m’en coûte de
l’admettre. Je me suis grisée à l’idée d’un combat entre cette vipère et moi.
Mon arrogance m’a aveuglée. Je voulais être plus subtile, plus intelligente. Je
recherchais l’élégance des ripostes, des parades, quand la seule urgence était
l’efficacité. En bref, je confesse m’être fait plaisir en m’engageant dans
cette joute mortelle et en oubliant l’essentiel : abattre la meurtrière.
    Elle s’enfuit à ses mots, dévastée
par l’étendue de ses erreurs.
    Éleusie demeura noyée de chagrin,
debout, seule, incapable d’un mot, d’un geste.
     

Jardins et herbarium, abbaye de
femmes des Clairets, Perche, décembre 1304
    Une très jeune novice, accueillie quelques
jours auparavant, se redressa et leva la tête lorsque Annelette Beaupré,
courant presque, déboucha d’une des portes de l’hostellerie dans le jardin
potager. Elle vit la grande femme s’arrêter, reprendre son souffle en plaquant
sa main sur sa poitrine. Esquive d’Estouville patienta, attendant que sa
« mission » la rejoigne. Elle devait protéger Annelette et Éleusie de
Beaufort, et retrouver coûte que coûte la voleuse des manuscrits avant qu’ils
ne sortent de l’enceinte des Clairets. Ses époustouflants talents de bretteuse,
mais également de menteuse, l’avaient fait désigner. Éleusie de Beaufort, la
tante du bel archange qu’elle avait protégé de sa lame en la forêt de
Mondoubleau, qu’elle avait bercé contre elle afin qu’il ne prît pas froid dans
son inconscience. Deux mois plus tôt. Une éternité, lui semblait-il.
    Luttant contre l’envie de fondre en
larmes, de s’agenouiller afin d’implorer le pardon, Annelette reprit sa
progression. Aveuglée par son chagrin, par sa honte aussi, elle buta contre une
jeune novice accroupie qui retournait la terre. La jeune femme se releva en
bafouillant des excuses :
    — Votre clémence, ma sœur. Je
ne vous ai pas entendue arriver, occupée que j’étais à sarcler la terre raide
de givre.
    Annelette la dévisagea, hochant la
tête en signe de dénégation. Elle ne connaissait pas ce ravissant visage. Sans
doute une des nouvelles arrivées. Une oblat [9] , peut-être. L’autre, les yeux baissés en feinte timidité,
demanda :
    — Seriez-vous notre sœur
Annelette, l’apothicaire dont les talents provoquent l’éloge ? Je mélange
encore les visages, les fonctions et les noms.
    Annelette parvint à se ressaisir
assez pour déclarer d’un ton haché :
    — Si chose mérite louange, ce
sont les simples. Mon seul talent consiste à les accommoder. Vous êtes ?
    Un immense regard ambre clair,
presque jaune, se leva enfin vers elle.
    — Toute nouvelle en ce lieu.
Mon prénom est Esquive, mais je compte prendre plus tard, lorsque j’aurai
l’ineffable joie d’être reçue tout à fait parmi vous, le nom de sœur Hélène.
    — Une femme remarquable. Une
bien belle sainte. Votre choix est judicieux.
    Elle quitta la très jeune femme sur
ces mots et se réfugia entre les murs de l’herbarium, son univers. À quelques
toises* de là, Esquive d’Estouville lâcha son sarcloir – bien inutile en
cette saison – puis se dirigea d’un pas léger, en dépit de la dague
plaquée contre sa cuisse, vers le scriptorium. Elle venait d’atteindre son
premier objectif et avait été très prudente. Elle avait torsadé son arrogante
chevelure frisée sous le court voile des novices afin de la dissimuler. En
revanche, ses yeux, fort reconnaissables, risquaient de la trahir bien vite. Or
le Spectre qu’elle avait défait, lame au clair, se cachait entre ces murs.
Lorsqu’elle rencontrait une sœur, ce qui n’était pas fréquent puisque Esquive
avait habilement requis d’être affectée aux pénibles travaux extérieurs, elle
gardait le regard baissé en permanence, jolie mascarade d’humilité.
    Annelette ferma les volets,
verrouilla la porte, sanglotant dans la pénombre inamicale.
    Depuis quand n’avait-elle pas pleuré
ainsi ? Depuis quand n’avait-elle pas été blessée aussi gravement ?
Des lustres.
    Un souvenir importun se fraya un
chemin dans son désespoir. Son père, son frère, assis roides derrière la table
de la salle commune, la jugeant, la jaugeant sans aménité, car pour ce qui
était de la tendresse, nulle ne

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