Le sang de grâce
ajouta-t-il en son for
intérieur avant de poursuivre :) Je redoute qu’elle se venge de vous, de
votre courage, de votre affection pour moi, laquelle m’est si chère. Je la
connais, elle est impitoyable sous ses airs de candeur. Ah mon Dieu… Vous
imaginer dans cette porcherie de Souarcy, vos douces mains flétries par
d’ingrates besognes, votre ravissante silhouette enlaidie de hardes… Mon cœur
se renverse.
Celui de Mathilde aussi. Du reste,
la nausée lui envahissait la gorge à cette perspective. Non ! Non, pas
Souarcy, pas sa mère, pas les porcheries, les valets puants. Pas l’intenable
froid de ces murs sans grâce. Elle voulait les rires, les mets fins, les
danses, les lumières, les tapisseries, les servantes, les beaux vêtements et
les bijoux.
— Je refuse ! Je refuse de
rejoindre ce bouge malodorant de Souarcy. (Paniquée, au bord des larmes, elle
supplia :) Mon oncle, je vous en conjure, gardez-moi auprès de vous.
— C’est mon vœu le plus cher,
ma douce. Mais comment ? Je ne puis lutter contre le droit de votre mère.
Plus maintenant.
— Enfin… je serai majeure dans
quelques mois [22] , cinq à peine.
— Où pourrais-je vous cacher
tout ce temps afin que vous me reveniez ensuite ? (Eudes se rapprocha de
sa demi-nièce et baissa la tête en signe de soumission avant d’abattre son
avantage :) Madame… Il m’a fallu boire quelques gobelets de vin avant de
trouver le courage de cet aveu. N’est-ce pas saisissant de la part d’un homme
qui ne redoute que Dieu ? mentit le poltron.
Son humilité soudaine et ce titre de
« madame » grisèrent la jeune fille. Elle minauda :
— Vous m’effrayez, monsieur.
— C’est pourtant la dernière
chose que je souhaite en cet instant. Vous… Votre finesse vous aura indiqué, je
l’espère, que j’ai formé à votre égard un… attachement que notre seule
parentèle ne justifiait pas… qu’au contraire elle rend… inexplicable.
Inconcevable, même.
Le cœur de Mathilde s’emballa.
Enfin !
— Monsieur… murmura-t-elle en
plaquant sur sa bouche sa petite main alourdie des bagues de madame Apolline,
sa défunte tante.
— Je sais… Pourtant, je me suis
avancé trop pour renoncer maintenant. Je comprendrai que nos liens de sang vous
répugnent. Je les ai, moi-même, longuement soupesés. Je me tiens devant vous,
défait, sans arme, sans espoir. Voulez-vous ma mort ? Je vous offre ma
vie.
Ah… Que c’était tourné avec élégance !
Mathilde avait rêvé des nuits entières d’une telle déclaration. Aimait-elle son
oncle d’un amour coupable ? Pas vraiment. Elle ne l’aimait d’ailleurs pas
particulièrement. Mathilde n’aimait personne en dehors de Mathilde de Souarcy, qui
la ravissait de plus en plus. Cependant, il était riche – du moins le
croyait-elle – et cette scène poignante. Elle devenait l’inaccessible
déesse aux pieds de laquelle les hommes se prosternaient. Quelle jolie
métaphore ! Elle tendit les mains vers lui. Il les baisa.
— Ah non… Votre mort ?
Jamais, monsieur. Que faire ? Que faire pour demeurer toujours auprès de
vous ?
— Est-ce à dire que vous…
— Chuuut, l’interrompit-elle.
On ne requiert pas ce genre de confessions d’une dame.
— Je suis un rustre, madame.
Mille pardons. Pourtant, vous faites à nouveau vibrer mon pauvre cœur qui
s’était cru éteint. Que faire ? Il n’existe qu’une minuscule solution, je
les ai toutes passées en revue. Si votre mère remet la main sur vous, elle
n’aura de cesse de vous détruire. Vous êtes jeune, belle et séduisante. Elle
est déjà vieillissante, sans avenir autre que le labeur ignoble de Souarcy. Sa
jalousie de femelle ne connaîtra nulle trêve. Elle sent que vous m’avez
conquis, sans grand effort, je l’admets.
Le portrait qu’il brossait de sa
séduction en opposition à sa mère plaisait tant à Mathilde qu’elle l’admit sans
y réfléchir davantage.
— Quelle est cette minuscule
solution, mon cher oncle ?
— Nommez-moi Eudes, je vous en
supplie. N’évoquez plus ces liens… qui me vrillent le cœur.
— Eudes… J’ai répété mille fois
votre prénom, monsieur. Cette solution, donc ?
— Le couvent, ma merveilleuse.
Le couvent en invitée, pour cinq petits mois, jusqu’à votre majorité.
— Le couvent ?
— En invitée, pas en oblate.
Une sorte de retraite spirituelle comme en effectuent nombre des plus grandes
dames du royaume, dont la fille du roi,
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