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Le sang de grâce

Le sang de grâce

Titel: Le sang de grâce Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
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de la grande salle commune, remerciant le ciel de sa bonne
fortune. Après tout, il ne possédait rien, pas même la liberté d’aller. Rien,
hormis la vie et elle était sauve, du moins pour le moment.
    Eudes se laissa choir sur le bord de
la table. Certes, il le savait. Il ne les avait fouettés les semaines
précédentes que pour tenter de se convaincre qu’il persistait toujours un peu
de minerai, assez pour faire illusion quelque temps auprès du roi. En vain.
    Durant des générations, la relative
tranquillité des Larnay vis-à-vis du pouvoir avait été à ce prix, en plus de
leur fortune dont il ne demeurait plus que quelques clinquants vestiges. Ses
ancêtres avaient négocié avec finesse, jurant allégeance aux différents rois de
France mais ne dédaignant pas de courtiser l’ennemi anglais, proche voisin. Le
sous-entendu, bien que prudent, avait été clair : le minerai irait au plus
généreux et au plus « cordial » des souverains. Ainsi que l’avait
résumé son grand-père avec une jovialité de riche drapier : « Ta
femme n’est jamais si séduisante que lorsqu’elle plaît aux autres. Or, on n’est
généreux qu’avec les femmes séduisantes. » La jovialité avait disparu.
Quant à la « femme séduisante » de la métaphore, elle était devenue
stérile. La mine avait commencé à donner des signes de faiblesse peu avant le
décès du baron Robert, le père d’Eudes.
    Il récupéra le cruchon et se versa
un gobelet de vin d’une main mal assurée, éclaboussant le bois sombre alentour.
Il tituba, se rattrapant de justesse au rebord de la table.
    Mathilde ! Gourde, puterelle [20] méfaisante qui se pavanait dans les oripeaux retaillés de sa tante et
distribuait ordres et semonces à la domesticité du château comme si elle en
était bientôt maîtresse. Tous la détestaient. Il la détestait ! Tout
survenait à cause d’elle, de sa sottise lors du procès d’inquisition. Mathilde…
Qu’attendait-elle ? Qu’il l’allonge et la déniaise ? Dans le lit conjugal ?
Étrangement et alors même que tel avait été son plan, il n’en éprouvait nul
désir. Mathilde cessait d’exister s’il ne pouvait blesser Agnès, sa mère, grâce
à elle. Il rota et gloussa. Pourquoi irait-il s’embarrasser de délicatesse avec
une donzelle alors qu’il pouvait trousser tant de filles et exiger d’elles ce
que bon lui chantait ? La stupidité de Mathilde avait fait échouer le
stratagème de son cher oncle ? Eh bien, elle paierait pour cela. Elle
paierait pour sa mère. Elle paierait pour tout et le reste. Dans son ivresse
fielleuse, peu importait à Eudes qu’un inconnu ait navré [21] à mort l’inquisiteur. C’était de la faute de Mathilde. Tout était de
sa faute, jusqu’à son peu de ressemblance avec Agnès.
    Oui, il fallait que cette idiote
paie. Peut-être ainsi pourrait-il dormir enfin.
    Il réfléchit. Une soudaine
inspiration le fit sourire. Il héla une servante, qui resta, elle aussi, à
prudente distance.
    — Informe aussitôt mademoiselle
ma nièce que je souhaite m’entretenir avec elle.
    Après une courte révérence, la fille
s’exécuta.
    Mathilde avait requis quelques
minutes de toilette avant de recevoir son cher et bel oncle. Elle avait avivé
ses joues de pincements et mordu ses lèvres, hésitant longuement à défaire sa
chevelure. Non, une dame ne défaisait ses nattes ou ses roulades qu’au coucher…
pour son époux ou son amant. Elle s’était précipitée vers le petit siège de sa
table d’atour et avait adopté ce qu’elle espérait être une contenance languide
mais élégante, un rien galante toutefois.
    À la mine sombre de son oncle
bien-aimé, elle avait compris avec une pointe de déception que les mystères de
la chair ne lui seraient pas révélés ce soir. Elle s’était redressée, dépitée.
Eudes avait percé son souhait et une haine difficile à combattre l’avait
envahi. Jeune putain. Néanmoins, celle-ci n’avait pas l’excuse de la pauvreté
qu’il reconnaissait aux autres, bien qu’en abusant.
    — Mon oncle, quel bonheur de
vous revoir.
    — Ma chère mignonne, il sera,
j’en ai bien peur, de courte durée.
    — Vous m’alarmez.
    — J’en suis désespéré. Votre
mère n’aura de cesse de nous gâcher l’existence.
    — Comment !
    — Elle vous veut récupérer
aussitôt. L’issue, fort injuste, de son procès lui en donne le droit
puisqu’elle n’a pas été déchue. (Par ta faute, gredine,

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