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Le sang de grâce

Le sang de grâce

Titel: Le sang de grâce Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
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madame Isabelle.
    — Madame Isabelle,
vraiment ?
    — Certes, et tant d’autres.
    — Cinq mois, c’est bien long…
On s’ennuie à mourir dans ces couvents.
    — Cinq mois et la liberté, pour
toujours. Vous, moi… Mais, votre beauté, votre grâce me font craindre que vous
m’abandonniez un jour…
    — Que nenni, mon… Eudes, mon
doux Eudes, promit-elle, anticipant pourtant que le château de Larnay
manquerait bien vite de prestige pour l’avenir qu’elle se prévoyait. D’autant
que son demi-oncle n’obtiendrait jamais de l’Église une dispense d’épousailles.
Eh bien, mon tendre Eudes, allons pour une brève retraite ! Choisissez, je
vous implore, une abbaye de femmes moins sinistre que les Clairets.
    — J’y ai déjà songé, mentit-il
tout en cherchant un monastère le plus lointain possible de Larnay et de
Souarcy-en-Perche. Il convient que vous rédigiez une courte lettre, expliquant
votre désir d’abandonner pour un temps le siècle [23] et de rejoindre Dieu… afin que je nous prémunisse contre la hargne
d’Agnès.
    Le choix d’Eudes se porta aussitôt
sur Argentolles, abbaye de cisterciennes fondée par Blanche de Navarre et son
fils, Thibaut IV de Champagne. S’y réunissait tout ce qu’il souhaitait.
L’éloignement, puisque Argentolles se situait en Champagne, et la sévérité, la
règle rédigée par saint Benoît étant particulièrement rigoriste, imposant
l’extrême pauvreté, l’isolement strict du cloître et privilégiant le travail
manuel.
    Tes jolis ongles vont gratter la
terre, ma belle coquette, tes reins vont se briser à ramasser du bois et tu
devras casser la glace de ta cuvette pour te laver.
    — Dictez, je vous prie, Eudes.
    Tout le temps qu’il mit à choisir
ses mots afin que l’on pût croire que la volonté de sa nièce était définitive,
il la vit, dénudée dans une salle glaciale, installée sur un tabouret
inconfortable. Il vit le couteau d’une moniale se rapprocher de ses beaux
cheveux châtains, les trancher, les raser. Il les vit tomber au sol en longues
mèches bouclées. Il vit les larmes dévaler des yeux de Mathilde, tremper ses
petits seins. Il sentit presque la rugosité de la longue chemise de lin que
l’on passait au-dessus de sa tête. Catin !
    Le temps que sa mère la retrouve,
l’insupportable péronnelle serait majeure. Rien ni personne ne pourrait plus la
faire sortir de son couvent, d’autant qu’il entendait la doter assez richement.
Or, restituer la fille, c’était risquer de devoir rendre l’argent. Il se
faisait fort de convaincre l’abbesse que les sens de la jeune fille s’emballaient
et qu’en oncle-tuteur soucieux de son bien-être et de la pureté de son âme il
s’en remettait à Dieu et à la discipline pour la maintenir dans le droit
chemin. Par quel moyen la brave femme qui allait lui rendre si beau service
pourrait-elle vérifier qu’il n’était en rien le tuteur de la donzelle ?
    Catin !
     

Chartres, étuve de dames de la rue
du Bienfait, Beauce, décembre 1304
    Aude de Neyrat s’étira et contempla
avec délice sa peau laiteuse, à peine rosie par la chaleur du bain parfumé
d’essence de rose et de lavande.
    Seulement vêtue de ses chaussons de
soie brodés, elle se contempla dans le petit miroir de son cabinet particulier.
Parfaite. Elle était toujours parfaite, jusqu’à son beau front dont l’arc
gracieux était prolongé d’une discrète épilation au goût de l’époque. Il ne
s’agissait pas de vanité ni de coquetterie de sa part. Son corps tout comme son
ravissant visage étaient parmi ses armes les plus fiables avec son intelligence
et sa rouerie. À ce titre, ils méritaient le meilleur soin.
    En attendant son rendez-vous, elle
décida de traverser la salle des cuves dans le plus simple appareil, une
délicieuse épreuve qu’elle s’imposait parfois.
    Elle sortit de son cabinet et avança
avec nonchalance, un gobelet d’infusion de mauve apaisante à la main,
prétendant examiner les nouvelles arrivées à la manière d’une dame de qualité
qui chercherait la parente venue la rejoindre en l’étuve. Une bonne dizaine de
regards féminins se braquèrent sur elle, la jaugeant, la soupesant avec plus ou
moins de discrétion. Rassurée, Aude rejoignit son cabinet. Il n’est plus
inflexible juge de la beauté d’une femme qu’une autre femme, car un homme
s’empêtre aussitôt dans l’évaluation de son désir. Alors dix femmes !
    Cet examen confidentiel

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