Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le sang de grâce

Le sang de grâce

Titel: Le sang de grâce Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
Vom Netzwerk:
et paradis, craignant l’un,
terrorisés par le second.
    Et si ce bouleversement se faisait
attendre ? S’il n’était pas prévu pour illuminer leurs vies, mais celles
de ceux qui les suivraient ?
    Viancourt soupira. Il n’était qu’un
obscur artisan. Quelle importance ? Aucune. Il ajouterait son nom à la
liste confidentielle de ceux qui l’avaient précédé. La gloire personnelle ne
lui était d’aucun intérêt. En cela, il rejoignait leur plus implacable
ennemi : le camerlingue Benedetti. Au fond, terriblement, il aimait cet homme,
bien que décidé à le détruire. Il le reniflait comme sien. Ils étaient de la
même race. Une race que rien, nul avantage, nulle peur ne retenait. Une race
capable de s’oublier pour que réussisse sa mission.
    Je vais t’écraser, Honorius. Je vais
t’écraser, pourtant, je te regretterai. Honorius, je te connais comme ma propre
vie. Nous partageons la même nature d’âme, bien que la tienne se soit damnée à
force d’erreurs. J’ai l’impression de n’avoir vécu qu’avec toi à mes côtés.
Sens-tu la même chose ?
    Honorius ? Comment se peut-il
que nous soyons l’un et l’autre certains de Le servir de toute notre force, de
tout notre amour quand nos actions sont opposées ?
     

Alençon, auberge de la
Jument-Rouge, Perche, décembre 1304
    Un silence presque étouffant. La
froide et parcimonieuse clarté d’une fin d’après-midi d’hiver. L’odeur âcre des
longs cierges. L’écho d’un pas sur des dalles de pierres brunes.
    Francesco de Leone avançait, frôlant
l’interminable déambulatoire de l’église. Son manteau noir orné d’une large
croix blanche à huit branches soudées deux à deux, bruissait contre ses bottes
de cuir.
    Il suivait la silhouette qui se
déplaçait en silence, à peine trahie par le chuchotement élégant d’une étoffe,
l’épaisse soie jaune d’une robe. Une silhouette de femme, une femme qui se
dérobait. Une silhouette presque aussi grande que lui. La lumière des cierges
se reflétait par intermittences sur la vague ondulée de sa chevelure. De longs
cheveux qui dissimulaient sa taille, tombant jusqu’aux mollets, se confondant
avec la soie de sa robe. D’un blond cuivré, évoquant le miel. Un essoufflement
douloureux faisait haleter Leone. Pourtant, un froid blessant givrait ses
lèvres.
    Il tentait d’essuyer la sueur qui
lui trempait le front et lui piquait les yeux pour s’érafler aux mailles de son
gantelet gauche. Pourquoi le portait-il ? S’apprêtait-il à livrer
combat ?
    Il s’était peu à peu accoutumé à la
demi-pénombre. Profitant de la faible lumière qui filtrait du dôme, et de celle
tremblante et incertaine des cierges, il fouillait l’ombre qui l’environnait,
estompait les contours des piliers, avalait les murs. De quelle église
s’agissait-il ? Quelle importance ? Elle était de taille modeste.
Pourtant, il longeait sa circonférence depuis ce qui lui semblait des heures.
    Il pourchassait la femme, sans hâte.
Pourquoi ? Elle ne fuyait pas, se contentant de maintenir la distance qui
les séparait. Elle le précédait de quelques pas, semblant anticiper ses
mouvements, longeant le déambulatoire extérieur pendant qu’il suivait
l’intérieur.
    Il s’immobilisait. Un pas, un seul,
elle s’arrêtait à son tour. Un souffle serein lui parvenait, celui de la femme.
Il repartait. L’écho jumeau reprenait aussitôt.
    La main de Francesco de Leone
descendait doucement vers le pommeau de son épée, pourtant une tendresse dévastatrice
lui arrachait un sanglot. Il regardait, incrédule, sa main droite enserrer la
boule de métal. Il avait tant vieilli. De puissantes veines saillaient sous sa
peau que des rides cisaillaient.
    Soudain, la certitude d’une autre
présence, tapie dans l’obscurité. Une présence de sang et de meurtre. Une
présence impitoyable. La femme s’était immobilisée. Avait-elle perçu l’ombre
féroce ? Un murmure : « À ma garde, chevalier, pour l’amour de
Dieu tout-puissant. » Une main féminine, pâle, frôlait la manche de son
bliaud [50] long, le faisant frissonner d’un délice presque intolérable. L’autre
disparaissait dans les plis de sa robe pour réapparaître aussitôt, enserrant
l’éclat d’argent d’une courte épée. Il n’avait pas vu qu’elle était armée. Il
chuchotait : « Ma vie pour vous, madame » et se retournait avec
lenteur vers elle. La soie jaune safran de sa robe tendue sur son ventre.

Weitere Kostenlose Bücher