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Le sang de grâce

Le sang de grâce

Titel: Le sang de grâce Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
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avoir votre père, ou presque…
    Elle leva la main et hocha à nouveau
la tête. Il la devança :
    — Détrompez-vous, ces
différences sont d’importance. En revanche, j’ai belle réputation, valeureux
nom et grande fortune. Je suis comte d’Authon, seigneur de Masle,
Béthonvilliers, Luigny, Thiron, Bonnetable, et de Larnay…
    — Établiriez-vous un contrat,
monsieur ? l’interrompit-elle.
    — Vous vous mariâtes sur contrat,
si je ne m’abuse.
    Elle se leva comme souffletée et
déclara, acerbe :
    — C’est donc maintenant
qu’arrive la muflerie dont vous me prévîntes ? Pour votre gouverne, je
n’avais alors nul autre choix.
    — Votre pardon pour cette
incivilité. Néanmoins… l’avez-vous aujourd’hui ? Le choix.
    — Certes. (Elle le dévisagea,
lèvres pincées, avant d’ajouter :) Eh bien, soit ! Puisque nous en
sommes à rédiger des clauses, je ne veux pas être en reste. Où vouliez-vous en
venir au juste ? À dresser l’inventaire des avantages de votre
position ? Pensiez-vous que je ne les avais point devinés ? Aurais-je
oublié que vous étiez mon suzerain et que le comté d’Authon, bien que de
superficie modeste, est l’un des plus riches du royaume ? Quoi
d’autre ? L’amitié que vous porte le roi ? Votre domesticité ?
Votre vaisselle, vos écuries ? Vos arpents de chasse ? Vos immeubles
et meubles ?
    Désarçonné, il bafouilla :
    — Que puis-je dire…
    — La vérité, à l’instant. La
vérité de votre cœur !
    — La vérité… Quel gouffre que
la vérité !
    Elle tapa du pied et lança :
    — De grâce, monsieur ! Il
est trop tard pour reculer, vous l’avez concédé vous-même. Ne vîntes-vous pas à
Souarcy pour ce seul motif ?
    — La vérité… La… ferveur que
j’éprouve à votre égard dépasse depuis longtemps, depuis notre première
rencontre, la protection que doit tout suzerain à sa vassale. (Il leva les yeux
au ciel et éructa :) Morbleu… Je ne suis pas homme de déclarations
habilement tournées, madame. La peste soit des mots ! Les femmes [46] affectionnent tant les mots !
    — Trois, monsieur. Rien de
plus. Il s’agit de prononcer trois mots et je me rends, moi que l’Inquisition
n’a pu contraindre à la reculade. Trois mots fort simples.
    — Et si… et si vous-même étiez
incapable de les prononcer ! Si… ils vous obstruaient la gorge parce que
vous ne les ressentez pas ? Des mots, toujours des mots ! Que l’un de
vos valets selle mon cheval à l’instant ! Je suis attendu à Rémalard. Ne
m’accompagnez pas. J’ai besoin de tousser dans l’air glacial du dehors. Seul.
    La cavalcade d’Ogier résonna dans la
cour pour se perdre bien vite dans un silence de neige. Agnès demeura debout,
oscillant entre la crise de sanglots et un fou rire de nerfs. Le dernier
l’emporta. Elle se plia, hoquetant, consciente que les larmes la rattraperaient
sous peu.
    Les trois mots avaient été là tout
le temps de sa présence. Si elle l’avait pu, elle les aurait prononcés pour
lui, mais là n’était pas us de dame.
    Sa crise d’humeur se calma aussi
vite qu’elle était venue. Quelle extraordinaire aventure : elle était
amoureuse. Il lui avait fallu du temps pour nommer cette sécheresse de gorge,
ces contractions de ventre qu’elle sentait près de lui, ce souffle désordonné,
ce délicieux effroi. Quel aveuglement. La faute ne lui en revenait pas
puisqu’une telle émotion ne l’avait jamais bouleversée auparavant. Comment
aurait-elle pu la reconnaître ?
    Quelle étonnante et merveilleuse
chose.
    Il allait prononcer les mots. Il le
fallait.
     

Chypre, décembre 1304
    Arnaud de Viancourt, grand commandeur
de l’ordre de l’Hôpital et prieur de la citadelle de Limassol, soupira. Lui que
la chaleur chypriote incommodait tant goûta l’air frais de ce décembre qui lui
parvenait par les minces meurtrières de sa salle de travail. L’île les avait
hébergés après la défaite de Saint-Jean-d’Acre en 1291, en dépit du peu
d’enthousiasme d’Henri II de Lusignan, roi de Chypre, qui se méfiait de
l’installation de ce pouvoir militaire et religieux dans son fief.
    Le prieur reposa la courte missive
qu’il venait de recevoir de son prétendu cousin Guillaume. Sous l’identité de
ce passionné d’angélologie se cachait Francesco de Leone, chevalier hospitalier
de grâce et de justice, et l’espion de Viancourt auprès de monsieur Guillaume
de Nogaret, conseiller de

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