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Le sang de grâce

Le sang de grâce

Titel: Le sang de grâce Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
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portrait de Francesco qu’Annelette songea qu’elle le confondait
avec un archange et que l’amour des vraies mères était bouleversant.
    L’apothicaire se préparait à
rejoindre le dortoir lorsque l’attitude de l’abbesse l’alerta. Ses mâchoires
semblaient soudées au point que les muscles masticateurs saillaient sous sa
peau pâle.
    — Ma mère ? Allez-vous
bien ?
    Éleusie hocha la tête en signe de
dénégation, incapable de desserrer les dents. Une interminable énumération de
symptômes, de maladies défila dans l’esprit de l’apothicaire. Un trismus, cet
état s’appelait trismus. On le rencontrait dans certaines formes de tétanie ou
lors de phlegmon de l’amygdale.
    — Ma mère ? cria
Annelette.
    Éleusie sembla bondir de sa chaise
et s’affala au sol comme un sac lesté. Sa fille se rua vers elle, tentant de la
relever. Mais les muscles de la petite femme étaient devenus rigides comme un
fer trempé. Elle suffoquait, courant après son souffle. Une suée profuse
dégoulinait de son visage, trempant le col de sa robe.
    Et Annelette comprit. Elle se releva
comme une folle, récupéra le bol de potion vide. Elle avala les dernières
gouttes qui stagnaient au fond et crut que ses jambes se dérobaient sous elle.
L’effroyable amertume du breuvage la renseigna. On avait ajouté autre chose à
son mélange d’herbes. Un sanglot la plia. Elle avait elle-même préparé le
poison qui allait emporter l’abbesse. Ce monstre pervers d’enherbeuse s’était
associé son involontaire concours. Pour la première fois de son existence, Annelette
ressentit l’envie farouche du meurtre. Elle l’exécrait, voulait voir
l’assassine morte à ses pieds.
    Elle s’agenouilla à côté d’Éleusie
qui bagarrait contre l’asphyxie, contre ses bras qui se tendaient raides devant
elle sans qu’elle parvienne à les contrôler. Annelette voulut lui saisir la
main, mais une effrayante convulsion souleva le petit corps qui s’arc-bouta
avant de s’effondrer à nouveau.
    — Souffrez-vous, madame ?
gémit l’apothicaire. Je ne reconnais rien à ces signes. Qu’a-t-elle utilisé, la
maudite ? Madame, je vous en supplie, ne mourez pas, ne m’abandonnez
pas ! Oh, madame, madame… j’ai menti… je ne suis pas de la force que je
prétends. Je ne me suis tenue droite que pour vous rassurer et me prouver mon
importance. Demeurez, je vous en conjure ! Demeurez encore auprès de moi.
J’ai peur, ma mère. Que vais-je faire si vous me quittez ?
    Une goutte s’écrasa sur la blancheur
immaculée de la robe de l’abbesse, puis une autre, s’épatant en petits soleils
liquides. Ce n’est qu’à cet instant qu’Annelette se rendit compte qu’elle
pleurait. Il lui sembla que sa vie fuyait d’elle en même temps que celle de la
femme qui se mourait. L’apothicaire se laissa aller sur le sol, se lovant
contre Éleusie en fœtus, répétant comme une litanie :
    — Soyez bénie, ma sœur, soyez
bénie, ma sœur… Dieu vous aime. Il vous aime…
    Combien de temps resta-t-elle
ainsi ? Elle n’aurait su le dire, ses pensées s’étant retirées loin
d’elle.
    Un râle de l’agonisante la fit
bondir. Les maxillaires toujours crispés, Éleusie la fixait, les yeux agrandis
dans une tentative désespérée de lui indiquer quelque chose. Annelette approcha
son visage d’elle à la frôler et un cri de gorge déchirant retentit. Les lèvres
de l’abbesse s’arrondirent avec difficulté et elle murmura entre ses dents serrées :
    — Cof… Le… cof…
    — Votre coffre.
    — Fran… ces…
    — Votre neveu Francesco.
    — Lettr…
    — Une ou des lettres dans votre
coffre pour votre neveu. Éleusie parvint à cligner d’une paupière.
    — Se… Secrè… te.
    — Elle est secrète et elle le
restera, je vous le promets sur ma vie.
    — Clef… Bibl… secr…
    — S’y trouve également la clef
de la bibliothèque secrète. À qui la remettre ? Francesco ?
    Un nouveau clignement de paupière.
    Le souffle rauque de l’agonisante
gonflait ses joues par saccades. L’affolement d’Annelette l’empêchait de
réfléchir. Devait-elle sortir, courir chercher de l’aide ? Non. Éleusie ne
pouvait trépasser seule dans cette pièce sinistre.
    Un bruit de gorge, un autre. Les
bras toujours tendus raides devant elle, les jambes étirées au point que ses
chevilles sortaient de sous sa robe, Éleusie attendait la mort, en paix. Peu
lui importait d’en voir, d’en ressentir le

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