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Le sang de grâce

Le sang de grâce

Titel: Le sang de grâce Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
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Elle
était enceinte.
    Francesco de Leone se réveilla
brutalement, bouche grande ouverte afin de happer l’air qui se refusait à lui.
Le rêve. Encore. Le rêve obstiné gagnait en précision, il se rapprochait. Il
l’avait déjà compris : le rêve était le futur. Une crise de sanglots le
plia sur son matelas de crin et de paille, dans cette auberge d’Alençon où il
gîtait depuis l’exécution de Florin. Des sanglots sans larmes, des sanglots de
reconnaissance, d’infini soulagement. Il avait tant redouté de poursuivre cette
femme afin de l’abattre. Il ne la suivait que dans le but de les protéger, elle
et l’enfant qu’elle portait. La jeune femme n’était pas Agnès de Souarcy,
contrairement à ce qu’il avait si longtemps cru. Leur différence d’âge dans le
rêve en attestait. Pourtant, elle lui ressemblait comme une sœur.
    Cette quête qui le tendait, le
portait, l’épuisait depuis si longtemps allait-elle bientôt aboutir ?
Quelle en était l’exacte signification ?
    Il se leva et demeura là, nu, planté
au centre de sa minable chambrette. Il avança à pas lents vers la petite
lucarne et souleva la peau huilée raidie de givre qui l’occultait. Un froid
sans concession dévala dans la pièce, faisant frissonner sa peau. Il tomba à
genoux, savourant chaque instant de sa prière d’obédience et d’absolue
gratitude.
    La femme. Sa vie pour la femme
enceinte. Sans hésitation, sans crainte, sans récompense. Sa vie appartenait à
cette femme qui levait l’épée dans une église inconnue pour protéger l’enfant
qu’elle portait. Car c’était l’enfant qu’on voulait détruire en abattant la
mère. Il le savait. Elle le savait.
     

Abbaye de femmes des Clairets,
Perche, décembre 1304
    Jeanne d’Amblin était rentrée de
tournée quelques jours auparavant, fourbue, grelottante de fièvre, secouée de
pénibles quintes de toux. Elle avait tenté, sans succès, de résister à
l’injonction d’Éleusie de Beaufort qui exigeait qu’elle prît un peu de repos
afin de se remettre au plus vite. Deux couvertures plus chaudes lui avaient été
accordées en raison de son état et Annelette lui préparait force décoctions et
baumes de poitrine afin de la guérir. L’apothicaire n’ignorait pas que les
symptômes de la sœur tourière se rencontraient tout aussi bien dans de graves
pathologies que dans de bénignes affections, et qu’il convenait d’en limiter le
plus fermement possible la propagation aux autres moniales.
    Jeanne lui tendit le bol vidé de son
infusion de pulmonaire, de chou, de hêtre et de bourrache [51] . Une grimace de dégoût sur le visage, elle bougonna :
    — Comment se peut-il que tous
les remèdes soient aussi affreux à ingurgiter ?
    — Et encore, je l’ai additionné
d’épices et de miel pour en améliorer le goût, commenta Annelette. Je vous
laisse reposer un peu. Ensuite… il faudra consentir à une petite inhalation.
    — Ah non, pas une fumigation
d’orties et de livèche, je vous en supplie !
    — C’est qu’elles sont
efficaces.
    — Il s’agit d’un traitement
destiné aux chevaux [52]  !
    — Qui a fait ses preuves chez
les humains. Vous n’êtes pas une malade docile, chère Jeanne.
    Celle-ci répondit dans un sourire
d’excuse :
    — Pardon, attentionnée
Annelette. C’est que je m’ennuie ainsi alitée. Quoi, je n’ai point mal aux
membres du bas, juste la sensation que ma tête est broyée dans un étau et
qu’une forge rugit dans ma poitrine !
    — Je compatis. Cela étant, il
vous faut comprendre qu’une affection de poitrine mal soignée peut dégénérer et
surtout se répandre bien vite. C’est du reste étrange, la façon dont se
communiquent les maladies… Est-ce juste le souffle qui les transmet d’un être à
l’autre ? J’en demeure sceptique puisque l’on sait bien que porter le
linge de corps d’un malade peut contaminer un individu sain. Une bien
fascinante charade.
    Jeanne, que la science laissait
assez indifférente, s’inquiéta :
    — Alors, je risque de vous la
communiquer, ainsi que vous dites ?
    — Oh, la grande membrue a
robuste carcasse. Et puis, je m’aliterai à vos côtés et vous tiendrai
compagnie, plaisanta l’apothicaire.
    Elle redressa l’oreiller de sa
malade en s’enquérant :
    — Avez-vous bien ce qu’il vous
faut, Jeanne ? Votre cruchon est rempli d’eau aromatisée à l’essence de
mauve… Je crois que rien n’y manque…
    — Je ne

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