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Le sang de grâce

Le sang de grâce

Titel: Le sang de grâce Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
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J’en référerai à notre mère et puisqu’elle ne semble pas vous
tenir en grande tendresse…
    — Vraiment ? Vous savez
cela ? Et comment, je vous prie ? Des confidences de comparses,
peut-être ? insinua d’un ton menaçant Annelette Beaupré.
    Sylvine Taulier plaqua le grand
registre sous son imposante poitrine, seule excroissance au cube qui lui
servait de corps, avant de siffler, mauvaise :
    — Je ne prononcerai plus un
mot. Nous pouvons passer la nuit ici s’il vous chaut.
    — Il me chaut !
    — Quant à mon inventaire de
fournées, il ferait beau voir que je le soumette à votre expertise. Vous n’avez
nulle autorité sur moi. Oh, vous pouvez y aller de vos mines et de vos
froncements de sourcils ! Gardez-les pour les novices et certaines
moniales. Vous ne me faites pas peur.
    — Ce qui prouve que vous êtes
encore plus sotte que je ne le pensais.
    — Quoi… quoi ? s’étrangla
l’autre.
    — Vous allez être accusée de
complicité d’enherbement, idiote ! Enherbement sur la personne de
plusieurs de nos sœurs et d’une mère abbesse… Savez-vous ce qui vous
attend ? Vous serez dénudée jusqu’à la taille et promenée, enchaînée tel
un ours, dans les rues des bourgs voisins, lapidée par la populace avant d’être
pendue aux fourches patibulaires !
    Le visage de Sylvine Taulier se vida
de son sang, prenant la même couleur grisâtre que le tapis de cendres accumulé
sous les portes des fours. Curieusement, ce ne fut pas l’énumération des
sévices qui l’attendaient qui parut la stupéfier au point de la faire tituber,
mais l’accusation préalable.
    — Complicité
d’enherbement… ? Vous êtes folle et malfaisante ! Pourquoi
croyez-vous que je sue aux fours ? Que je charrie des stères de
bois ? Mon rêve, c’était de devenir organisatrice des repas et des
cuisines, comme notre gentille Adélaïde Condeau, notre Père berce son âme.
(Elle soupira de chagrin.) Je ne pouvais revendiquer cette fonction. Je suis
incapable d’assommer une anguille contre un mur, ou pis, d’égorger un gentil
lapin ou une mignonne poulette, alors assassiner ou simplement participer au
meurtre de mes sœurs, de notre mère… ! Idiote vous-même. Ce sont des
muscles que vous voyez-là, ajouta-t-elle en levant ses bras noueux, pas de la
furie.
    Quelque chose dans sa protestation,
dans son attitude, dans les larmes qui lui venaient aux yeux, indiqua à
Annelette Beaupré qu’elle s’était trompée de cible. Pourtant, elle poussa
l’avantage :
    — Et je devrais vous croire sur
votre bonne mine ? Quand avez-vous préparé du pain de seigle ?
    — Mais qu’avez-vous avec ce
seigle à la fin ? Le seigle n’a jamais tué personne.
    — Celui-ci était mortel.
    — Cela ne se peut !
    — Si fait. Il s’agissait d’un
seigle contaminé par l’ergot.
    — L’ergot ?
    — De petits amas noirs qui se
forment sur les épis. Une sorte de chancre redoutable. Quand avez-vous pétri du
pain de seigle, que de seigle ? répéta Annelette en détachant chaque
syllabe. Vite, la lassitude me gagne. Si je n’obtiens pas de réponse
satisfaisante, j’informe aussitôt le grand bailli.
    Comprenant soudain la gravité de sa
situation, Sylvine tourna fébrilement les pages du registre qu’elle tenait
serré contre elle de peur que l’autre ne lui arrache.
    Elle releva la tête et
bafouilla :
    — Au début de l’Avent, il y a
un mois. Et puis, en octobre dernier. Si je remonte plus loin… Voyons… en mai.
Encore plus avant, j’ai réalisé une pleine fournée en février, nous manquions
d’avoine et de froment.
    Mai. L’émissaire du pape – celui
qui avait rendu visite à Éleusie avant d’être retrouvé mort faussement
carbonisé – avait frappé à l’ouvroir en mai.
    — Trêve de tergiversations.
J’attends de vous des réponses courtes, précises et exactes, sans cela, la
potence vous attend. La sœur organisatrice des repas et des cuisines vous
ordonne la fourniture de pain, n’est-ce pas ?
    — Évidemment. Qui mieux qu’elle
connaît les besoins de table ou d’aumônes ?
    — Le mentionnez-vous sur votre
registre ?
    — Pour qui me prenez-vous à la
fin ? Une simple d’esprit ? Vous avez grand tort. Je ne suis
peut-être pas une érudite comme vous. J’avoue : j’ai peine à lire les
textes longs, les mots ardus me rebutent, mais je sais écrire. J’ai appris ici,
figurez-vous, lança-t-elle avec fierté.
    — C’est un beau

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