Le sang des Borgia
Naples, semblait être le mieux placé des prétendants.
C’était un jeune homme avenant, aux cheveux blonds, aux manières agréables et affables. Comme sa sœur Sancia, il était, au sens strict, un bâtard ; mais son père avait accepté de le nommer duc de Biceglie, pour lui assurer prestige et revenus. Mieux encore, sa famille entretenait d’étroites relations avec Ferdinand d’Espagne, ce qui assurerait à Alexandre un avantage tactique dans sa lutte contre les aristocrates locaux installés au sud de Rome.
Perotto transmettait toujours à Lucrèce les messages où son père évoquait la procédure d’annulation, comme les progrès des négociations avec le royaume de Naples.
Le jeune homme et la fille du pape étaient devenus amis. Chaque jour, ils marchaient ensemble dans les jardins du couvent, échangeant de menus propos. Pour la première fois, Lucrèce se sentait libre : n’étant plus sous l’autorité de son père, elle pouvait enfin être elle-même.
Ils commencèrent à se tenir les mains, à échanger des secrets ; Perotto passait l’après-midi à placer des fleurs dans les longs cheveux de la jeune femme, qui se remit à rire, à revivre.
Toutefois, le jour où il lui remit la lettre annonçant qu’elle devait revenir à Rome pour se présenter devant la Rota – le tribunal suprême de l’Église – dans le cadre de la procédure d’annulation de son mariage, elle fut terrifiée ; ses mains tremblèrent, elle se mit à pleurer. Perotto avait eu le temps de tomber amoureux, bien qu’il n’eût jamais osé le lui avouer ; il la serra contre lui pour la réconforter.
— Que se passe-t-il donc ? demanda-t-il. Qu’est-ce qui vous cause tant de chagrin ?
Elle posa la tête sur son épaule sans répondre. Seul César la savait enceinte, mais devoir se proclamer vierge paraissait désormais impossible. Si son père, ou qui que ce soit, découvrait la vérité, il ne serait plus question d’alliance avec le royaume de Naples : pire encore, César et elle pourraient même être mis à mort par leurs ennemis, car leur conduite avait mis la papauté en danger.
N’ayant personne d’autre à qui se confier, elle avoua tout au jeune Perotto. Homme d’honneur, celui-ci suggéra que, plutôt que d’admettre ses relations incestueuses avec son frère, elle pourrait déclarer que le jeune musicien était le père de son enfant à naître. Elle en subirait sans doute les conséquences, mais qui seraient forcément moins graves.
Une telle proposition toucha profondément la jeune femme, tout en l’inquiétant :
— Mais père te fera torturer pour avoir mis en danger son projet d’alliance avec Naples ! Les rumeurs qui courent sont déjà suffisamment pénibles sans que…
Elle se posa la main sur le ventre et soupira.
— Je suis prêt à donner ma vie pour vous et pour l’Église, répondit simplement Perotto. Dieu me récompensera de la pureté de mes intentions, quoi que puisse décréter le Saint-Père.
— Il faut que j’en parle à mon frère le cardinal.
— Dites-lui ce que vous jugerez nécessaire, et j’en assumerai les conséquences. Le bonheur que j’ai connu au cours de ces derniers mois n’a pas de prix.
Il s’inclina et repartit avec une lettre qu’elle le chargea de remettre à son frère :
— Veille à ce qu’il la reçoive en main propre, car tu sais quel danger il courrait si elle était dérobée par quelqu’un d’autre.
Arrivant à Rome, Perotto se rendit auprès du pape pour l’informer que Lucrèce était enceinte de six mois, et que lui-même était le père. Il le supplia de lui pardonner d’avoir trahi sa confiance.
Alexandre l’écouta avec attention, d’abord perplexe, mais sans se mettre en colère – à la grande surprise du jeune homme, à qui il ordonna simplement de ne parler de rien à personne. Lucrèce resterait au couvent, assistée par les fiancées du Christ qui avaient juré allégeance à l’Église et sauraient donc protéger ses secrets.
Mais que faire de l’enfant ? Il était évident que jamais Alfonso et sa famille ne devraient connaître la vérité. Seuls Alexandre, Lucrèce et César seraient dans le secret ; Geoffroi et Sancia ne seraient informés de rien : ce serait trop dangereux. Et Perotto ne devrait jamais rien dire, même sous la torture.
Comme le jeune homme allait prendre congé, le pape lui demanda :
— J’espère que tu n’as parlé de ceci à personne ?
— Non. L’amour que je
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