Le sang des Borgia
un très beau garçon que le pape fit aussitôt conduire au Vatican, tandis que sa fille restait au couvent pour se remettre. Il était convenu que, plus tard, elle feindrait de voir en lui son neveu, et l’élèverait elle-même. Restait toutefois un danger qu’Alexandre devait considérer avec le plus grand soin.
Il savait ce qu’il devait faire, même s’il en éprouvait un peu de regret. Il convoqua Don Michelotto. Peu avant minuit, le petit homme à l’énorme poitrine fit son apparition dans le cabinet de travail du pape.
Alexandre l’accueillit en frère et lui expliqua la situation :
— C’est le jeune homme qui affirme être le père… Un jeune Espagnol remarquable… mais…
— Je suis au service de Votre Sainteté. Si ce jeune homme est aussi noble qu’il y paraît, nul doute que Dieu l’accueillera avec joie.
— J’ai songé à simplement l’exiler, car c’est un bon serviteur. Mais on ne sait jamais, il se pourrait que la tentation le pousse à parler… ce qui provoquerait la chute de notre famille.
— Il est de votre devoir de le préserver des tentations, et du mien de vous venir en aide de mon mieux.
— Je te remercie, dit le pape, qui ajouta d’un ton hésitant : surtout, sois aussi compatissant que tu peux, car c’est un bon garçon, et il est compréhensible qu’il ait été séduit par les ruses d’une femme.
Don Michelotto s’inclina pour baiser l’anneau pontifical et l’assura qu’il ferait tout son possible.
Michelotto partit aussitôt à cheval, ne s’arrêtant que dans les dunes d’Ostie. De là, il aperçut la petite chaumière, avec son jardin ou poussaient des rangées de légumes, ainsi que des herbes inconnues, et des buissons ornés de baies rouges et noires, de fleurs d’allure exotique.
Il s’y rendit en prenant soin de contourner la maisonnette pour arriver par l’arrière. C’est là qu’il trouva la vieille femme, courbée en deux, s’appuyant lourdement sur un bâton d’aubépine qu’elle leva en l’air en apercevant le visiteur.
— Noni ! dit-il d’un ton apaisant. Je suis venu chercher un remède.
— Va-t’en ! Je ne sais pas qui tu es !
— Noni ! répéta-t-il en s’approchant. C’est le Saint-Père qui m’envoie…
Elle eut un faible sourire en le reconnaissant enfin :
— Ah, c’est toi, Miguel ! Tu as vieilli !
— C’est bien vrai ! Et je suis venu te demander ton aide pour sauver une âme.
Il tendit la main pour prendre son panier d’osier, mais elle le repoussa :
— Est-ce un homme mauvais que tu veux envoyer en enfer, ou quelqu’un d’estimable qui porte tort à l’Église ?
— Il verra Dieu face à face, répondit Don Michelotto d’une voix douce.
Le vieille hocha la tête, lui faisant signe de la suivre dans la chaumière. Elle examina des herbes accrochées au mur, finit par en choisir une, enveloppée dans un sachet de soie :
— Celle-là le fera dormir d’un sommeil sans rêves. Il ne se débattra pas.
Avant de donner le sachet à Michelotto, elle l’aspergea d’eau bénite.
Puis elle le regarda s’éloigner et, baissant la tête, fit le signe de la croix.
Dans le ghetto du Trastevere, le patron d’une médiocre taverne s’efforçait en vain de réveiller l’un de ses clients : c’était l’heure de la fermeture. Le jeune homme dormait, tête posée sur ses bras croisés, depuis près d’une heure, quand son compagnon l’avait quitté. Il glissa à terre lorsque le tavernier voulut le secouer avec vigueur. L’homme eut un cri d’horreur : le visage était boursouflé, tirant sur le bleu, ses yeux injectés de sang paraissaient à fleur de tête ; pire encore, la langue gonflée lui sortait de la bouche, lui donnant l’aspect d’une véritable gargouille.
Le guet arriva quelques minutes après. Le tavernier ne put que décrire sommairement celui qui avait bu avec le mort : un homme de petite taille au torse énorme. Il ignorait de qui il s’agissait.
Plusieurs personnes identifièrent la victime : c’était un musicien espagnol nommé Pedro Calderon, mais que tout le monde appelait Perotto.
14
Le jour où César couronna le roi de Naples, il reçut de sa sœur un message urgent qu’un messager lui remit comme il se promenait seul. Il devrait la retrouver au Lac d’Argent d’ici quelques jours, car elle devait lui parler avant que tous deux ne rentrent à Rome.
Il consacra la soirée à l’opulente cérémonie marquant le couronnement. Tous les
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