Le sang des Dalton
sa chemise et ses jambières graisseuses, un foulard rouge sur les cheveux, qui retaillait l’un des sabots de son coursier avec un canif. À peine nous a-t-il avisés qu’il s’est saisi de son fusil et a essayé de nous faire sauter le caisson. Mais je m’étais déjà écrié : « Attention ! » avant d’exécuter une demi-volte et Bob a fait rebrousser chemin à nos bêtes volées en les cinglant de coups de bambou jusqu’à ce qu’elles décampent en se bousculant et en cavalcadant sur les trottoirs en planches, si bien que les tirs de Rogers n’ont touché que des fenêtres.
Bob et moi avons foncé tête baissée vers la route sillonnée d’ornières qui quittait la ville, en fouettant nos montures avec nos rênes en cuir et en soulevant des mottes de boue qui voltigeaient comme des chaussures. L’un des compagnons de Rogers a eu cependant le temps de tirer avant que nous soyons hors de portée et la balle a emporté un bout de l’oreille droite de mon cheval. Le sang a jailli en arrière tel un serpentin. Nous n’étions qu’à moins de dix kilomètres de la ville lorsque ma monture est arrivée au bout de ses forces. Tout ce à quoi je pouvais penser, c’était à ce voleur de chevaux qui s’était fait capturer par les Indiens et que les squaws avaient découpé en morceaux de la taille de filets de truite. Heureusement, un fermier a débarqué de nulle part à bord d’un chariot tiré par un attelage de Morgan hirsutes et j’ai aussitôt levé mon lourd six-coups à deux mains.
C’était un agriculteur fluet et guindé et il a obéi comme un écolier timoré. Bob a dételé l’un des Morgan et l’a approché de moi pour que je puisse permuter avec ma monture flageolante, puis nous avons piqué des deux. Nous nous sommes ébranlés lourdement en direction des bois et nous nous sommes échappés sains et saufs.
Grat n’eut pas autant de chance. Quand Bob avait commencé à cravacher les chevaux avec sa perche en bambou, Grat s’était engouffré au galop dans une ruelle secondaire en décochant un coup de pied dans une poubelle qui s’était renversée en tintinnabulant. Il avait pris le temps de faire dégringoler derrière lui une échelle qui s’était abattue avec fracas et avait fait chuter la tête la première le cheval d’un de ses poursuivants, puis il avait guidé sa monture à travers des herbages jaunes aussi hauts que le ventre de celle-ci jusqu’au ballast des voies de chemin de fer, où il avait attaché une longe autour du cou des deux chevaux volés qui l’avaient suivi avant de se remettre en route le long d’une rivière sinueuse et boueuse grossie par les averses de printemps.
Il n’avait guère été difficile de le pister dans la terre meuble de la berge et, en quelques minutes, les Indiens furent assez près pour entendre devant eux des chevaux qui pataugeaient à la queue leu leu. Ils avaient intercepté mon frère près d’un barrage de castor. Grat était debout dans ses étriers et jetait des regards alentour tel un touriste quand le shérif de la ville s’était exclamé : « Les mains en l’air, Dalton ! »
Mon frère s’était abrité les yeux de la main pour étudier le détachement qui l’encerclait et il avait souri.
« Je n’ai jamais été aussi embarrassé », avait-il dit en minaudant.
5
Ainsi Grat fut-il arrêté pour la seconde fois dans un territoire sous la juridiction du juge Parker « la Potence », son ancien patron et mon frère Bob et moi sommes partis nous cacher dans les monts Ozark, dans le secteur de Cookson Hills. On imprima des avis de recherche, illustrés de portraits certes peu ressemblants, mais sous lesquels nos noms figuraient en gras et les journaux publièrent des récits approximatifs de la capture de Grat, dans lesquels nous étions dépeints comme de « vils renégats des forces de l’ordre ». Cette notoriété nouvelle signifiait qu’il nous fallait disparaître des Territoires et confirmait que nous n’avions plus aucune influence au sein de l’institution judiciaire ; si nous voulions la libération de notre frère Grat, nous allions devoir rassembler une bande dans ce but.
Notre première recrue fut Newcomb. Son prénom était George, mais presque personne ne l’appelait ainsi. Son surnom provenait d’une chanson dont le refrain était : « I’m a lone wolf from Bitter Creek and tonight is my night to howl. » (« Je suis un loup solitaire de Bitter Creek et cette nuit,
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