Le scandaleux Héliogabale : Empereur, prêtre et pornocrate
demeurait étranger à la scène qu’il vivait. Mais un léger frémissement de ses traits trahissait malgré tout l’agitation de son cœur qui, sous la toge triomphale, se soulevait avec la force d’une mer remuée.
Chaque tour de roue sur les pavés lui soulevait l’estomac.
Alors qu’Alexandre et lui remontaient le vicus Tuscus, il ne put s’empêcher de trembler à l’idée de se retrouver de nouveau devant le Sénat réuni au grand complet. Plus le char le rapprochait de son but, plus il ressentait l’influence opprimante de la Curie, plus il avait envie de sauter du véhicule pour échapper à cette implacable destinée dont il se sentait, aujourd’hui plus que jamais, le jouet impuissant.
Alexandre, lui, était au contraire parfaitement à l’aise. Droit sur le char, le regard fixé sur la foule romaine, dont il semblait vouloir remarquer soigneusement les moindres détails, il levait fièrement le bras en gratifiant, de temps en temps, la plèbe bruyante d’un salut aimable.
Lorsque le cortège parvint enfin sur la grande esplanade, entre la basilique Aemilia et la basilique Julia, Varius dut rassembler tout son courage pour mettre un pied à terre. Il descendit du char la tête haute, mais sans un regard pour la foule qui l’entourait.
Puis il gravit, aux côtés de son cousin, les quelques marches du perron et entra, avec la mine allongée d’un condamné, dans l’austère bâtiment.
Les deux adolescents prirent place, sur leur chaise curule, dans la tribune réservée aux consuls, tandis que Soemias et Mammaea s’installaient sur des sièges de chaque côté de leurs fils respectifs. Maesa, quant à elle, s’assit à la droite de Mammaea, signifiant par ce geste, plus sûrement que par un mot, lequel de ses deux petits-fils était désormais son favori.
La séance débuta par les discours officiels des Pères conscrits et leurs hommages aux nouveaux consuls.
Flatté par les marques de bienveillance qui lui étaient adressées, Alexandre rougit de fierté. Il semblait rempli d’une satisfaction sincère, à laquelle se mêlait un certain émoi de comparaître devant la majesté du Sénat et d’être l’objet de telles attentions.
— Je vous remercie, Pères conscrits, dit-il respectueusement. C’est un honneur d’avoir été distingué ainsi par le Sénat en recevant la charge de consul pour la nouvelle année. Il y a quelques mois, vous m’avez déjà conféré le titre de César, votre confiance me rend aujourd’hui doublement heureux.
En entendant ces mots, Varius faillit s’étouffer de rage mais parvint néanmoins à se contrôler. Il fit mine de chasser, d’une pichenette, une poussière imaginaire sur sa toge.
Alors que chacun s’attendait à ce qu’il prenne à son tour la parole, il bâilla d’un air profondément ennuyé puis referma la bouche. Ce mépris silencieux pour les paroles que les sénateurs lui adressaient était censé leur montrer comment il avait l’intention de les traiter : ils étaient là, mais pour lui, ils n’existaient pas.
Soemias s’agita sur son siège. Depuis leur arrivée dans la Curie, elle ne quittait pas son fils du coin de l’œil. Elle avait remarqué qu’il ignorait délibérément la présence des clarissimes et qu’il s’obstinait à ne prêter aucune attention à leurs discours. Le coude posé sur son avant-bras, la tête penchée sur le côté d’une manière nonchalante, presque provocante, il poussait régulièrement des petits soupirs exaspérés. Son regard distrait, indirect, se posait tantôt sur la porte, tantôt sur le plafond de la Curie, comme si sa pensée se concentrait uniquement sur ces deux points, comme s’il s’obstinait à ne regarder qu’eux pour faire disparaître tout ce qui l’entourait.
Mais sa mère savait pertinemment que s’il leur jouait la comédie de l’indifférence, il n’en bouillait pas moins en dedans.
Elle suivit le tremblement de son genou, sous la toge, avec une impression d’inquiétude mal définie. Ce mouvement saccadé et presque involontaire semblait révéler une tension nerveuse inconsciente qui l’alarmait. Alors qu’elle pressentait un nouveau drame, elle se pencha vers lui :
— Varius, demanda-t-elle en chuchotant, que t’arrive-t-il ?
— Je me gèle le cul, répondit l’empereur en resserrant autour de ses épaules son paludamentum (153) . Pourquoi laissent-ils toujours ces maudites portes ouvertes, même en hiver ?
— C’est la
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